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Graphosphère : Dr Fabrice LORIN
Dr Fabrice LORIN : COMPOSANTE PSYCHOLOGIQUE DE LA DOULEUR CHRONIQUE


Dr Fabrice LORIN
Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur
f-lorin@chu-montpellier.fr
CHU de Montpellier

Cours Faculté de médecine, DIU Prise en charge de la douleur durée 2 heures

Spinoza:ni pleurer ni rire, juste comprendre
Confucius :  étudier sans réfléchir est vain, réfléchir sans étudier est dangereux
Pythagore: Parler c’est semer, écouter c’est récolter



I -HISTOIRE  DE  LA  DOULEUR :

 Depuis les premiers écrits médicaux, la douleur est une permanence dans l’histoire de l’Art médical. Aborder la douleur, c’est observer et comprendre une période historique, assister à l’évolution des conceptions et à l’amélioration des soins. La douleur est un paradigme et son traitement n’a pas toujours été une priorité.

Symptôme bruyant et émouvant, la douleur a suscité depuis l’aube de l’histoire de la médecine les réactions les plus variées. D’une certaine manière, la douleur a structuré en partie l’histoire médicale.

Dès l’origine apparaissent en médecine deux champs classiques de la douleur :

Chez la femme, la douleur obstétricale. Elle est une fatalité. Elle est soumise au  «  droit naturel » : dans la religion catholique, l’enfant doit être sauvé en priorité, car il n’est pas baptisé. La mère est baptisée et peut donc mourir, d’autant qu’elle est une fille d’Eve, marquée du sceau du pêché originel. La douleur  obstétricale est une douleur de l’apparition, douleur de naissance.

Chez l’homme : la douleur de guerre, douleur de l’amputation, douleur de disparition, douleur de mort.

Le VIème siècle avant JC voit surgir à trois endroits de la planète une fulgurante réflexion philosophique, la pensée se dégage de la religion et de la toute puissance des dieux.

1 Confucius en Chine élabore une philosophie pragmatique centrée sur le lien entre les hommes. Exemple : « si tu rencontres un homme de valeur cherche à lui ressembler, si tu rencontres un homme médiocre cherche ses défauts en toi-même ». 

2 Bouddha en Inde énonce ses « quatre vérités » et propose une gestion de la douleur des hommes.

3 Enfin les grecs se débarrassent de leur mythologie divine et s’interrogent sur l’homme, la nature, l’univers etc.

L’apport grec énonce l’idée que ce sont les citoyens qui décident du sort de la cité, ce qui est une rupture avec l’idée religieuse. Athéna protège la ville, mais elle n’intervient pas dans le gouvernement. La pensée humaine et la raison humaine n’ont pas besoin du  secours de Dieu et de la théologie ; elles peuvent critiquer la religion. La naissance de la philosophie est un stade de maturation de l’humanité que les philosophes positivistes  comme Auguste COMTE ont souligné. Le retour actuel du religieux, est il une régression ? L’histoire de la douleur suit pas à pas l’histoire des hommes, de la pensée, des connaissances et de la médecine. Lire la douleur, c’est lire une époque, suivre la douleur, c’est observer les mutations de la pensée.


1.1 Les 4 approches de la douleur dans la Grèce antique: Homère, Sophocle, Hippocrate, les philosophes

Jusqu’au VIème siècle avant JC, la douleur est  un effet de magie, une punition des dieux, souvent représentée par la flèche.

1/ La tradition homérique (750 av JC) où s’exalte la douleur du combat militaire dans l’Iliade et l’Odyssée.

C’est une douleur aiguë qui est toujours décrite dans cette épopée, la douleur de la blessure de flèche, du pieu, de l’épée ou du javelot. La douleur par excès de nociception.

2/ La tragédie, centrée sur la souffrance morale et la douleur chronique.

Comment expliquer l’extraordinaire vitalité de ce siècle d’or, le Vème avant JC, au cours duquel se développent dans le même mouvement : la démocratie avec Clisthène qui en deux ans (508-507) fonde la démocratie athénienne, la philosophie avec Socrate et la tragédie d’Eschyle et de Sophocle son ami et d’Euripide leur cadet. La tragédie prend vie sous la plume d’Eschyle, contemporain de Clisthène et de Socrate car les Grecs ont pris conscience du silence des dieux. Le ciel est devenu muet. Désormais l’homme doit prendre son destin en main, abandonné et seul face à lui-même. Mais qui parmi les hommes doit prendre ce destin en main? Il y a une différence de philosophie politique fondamentale entre Platon et Aristote. Platon affirme que l'élite intellectuelle philosophique et mathématique est la seule apte à diriger la Cité. Au contraire Aristote avance que tout citoyen a les capacités pour gérer les affaires de la Cité. L’homme se retrouve face à ses désirs  ses passions ses souffrances et ses douleurs. Le sentiment tragique de sa vie naît de cette déchirure. La Tragédie des trois pères fondateurs succède alors à l’épopée lyrique et poétique que contait Homère (750 avant JC).La mythologie reste la principale source d’inspiration mais elle est largement chahutée et amendée : Œdipe ne meurt plus en paisible vieillard sur son trône à Thèbes, mais devient aveugle, plongé dans les ténèbres et précipité sur les routes dans un exil volontaire qui ne prend fin qu’avec l’expiation de ses fautes à Colone et dans la seule compagnie de sa fille Antigone. La mythologie racontait l’Histoire, la Tragédie lui donne sens et explore deux thèmes majeurs et intemporels : le goût du pouvoir (et sa variante la révolte des opprimés face à l’injustice et la démesure), la passion amoureuse. Dallas ?

3/ Hippocrate et les fondements de la clinique.

Hippocrate de Cos élabore le corpus hippocratum, une cinquantaine d’ouvrage avec deux soucis essentiels ; d’abord ne pas nuire au malade, le fameux « primum non nocere » et renforcer les processus thérapeutiques naturels.

Il dégage la médecine des légendes et de la mythologie, de la magie de la sorcellerie et de la philosophie. La maladie n’est plus un châtiment des dieux mais un processus naturel : le médecin doit établir un diagnostic précis, chercher l’étiologie et traiter la maladie. Hippocrate, issu d’une dynastie d’asclépiades (sorte de guérisseurs), est le fondateur de la médecine moderne. Il dégage 5 notions sur la douleur :

1 La douleur a une spécificité clinique. La douleur est donc un signe, un symptôme naturel à évaluer et à respecter.
2 La douleur est le « chien de garde de notre santé »qui « aboie », pour alerter l’organisme.
3 La douleur est chronique quand le « chien de garde continue à aboyer ».
4 Quand deux douleurs coexistent, la plus forte s’exprime préférentiellement : ne dit-on pas que les marins à qui on arrachait une dent enduraient la douleur parce qu’on leur maintenait un doigt au dessus de la flamme d’une bougie !
5 Le traitement antalgique est à proscrire.

Hippocrate se situe dans le contexte philosophique des sages antiques. Pour Hippocrate, « l’Homme est humoral ». Plus tard l’Homme sera « électrique » puis « chimique » et avec la découverte freudienne l’Homme devient« inconscient » pour être actuellement « génétique ». Deviendra t’il « bionique », « clonique » ?

La devise de la faculté de médecine de Montpellier est : «  Olim Cous nunc montpeliensis hippocrates » : autrefois Hippocrate était de Cous maintenant il est de Montpellier.

4/ Les philosophes grecs.

Aristote définit la douleur comme une émotion, la « passion de l’âme » et en situe le siège dans le coeur.

Ce n’est pas la douleur elle-même que le sage cherche à investir d’une signification (contrairement à l’église catholique plus tard), mais l’expérience qu’il en fait. Le poète latin Ovide dit : « Accueilles ta douleur, tu apprendras d’elle. »

Le sage antique est ferme face à la douleur. Il y a presque un déni de la douleur dans l'expérience stoïcienne, en cela proche de la philosophie chinoise de Mencius. Le philosophe stoïcien Epictète qui, esclave, fut soumis par son maître à la torture, le prévient: «tu vas me casser la jambe». Puis, la chose faite et sans plainte, il conclut: «ne te l’avais-je pas dit?».

Epicure souffre atrocement à la fin de sa vie mais il se déclare parfaitement heureux car ses douleurs sont compensées par la joie que lui procure le souvenir de ses entretiens avec ses disciples. Epicurisme et stoïcisme se démarquent sur le plaisir souverain pour les uns  et la nécessité de vivre selon la Nature et la Raison universelle pour les autres. Une version ancienne de l’opposition freudienne entre principe du plaisir et principe de réalité. Mais stoïciens et épicuriens s’unissent dans le refus d’abdiquer devant la douleur. La douleur n’est pas le salaire de la faute ni la voie du salut. Le sage lui oppose sa force d’âme. Les grecs ne sont pas dans le binôme bien/mal du judéo-christianisme, ni dans la prééminence des valeurs et codes honneur/déshonneur de sociétés archaïques mais dans la recherche du vrai et de la sagesse pour l’individu ou pour le bien de la Cité. La sagesse antique est d'abord une thérapeutique.

1.2  Galien de Pergame :

Grec d’Asie Mineure, il est le second père de la médecine. Formé à Smyrne,  Corinthe et Alexandrie, il arrive à Rome et devient le médecin des gladiateurs. Puis il sera le médecin de l’empereur Marc Aurèle. Œuvre immense basée sur sa pratique orthopédique, la vivisection d’animaux (macaques) et grand amateur de débats, de « disputatio ». Il considère la douleur comme une atteinte du tact et apparaît lorsqu’il y a rupture de la continuité. Galien définit la douleur comme une sensation dont il localise le siège dans le cerveau. Il complète la définition d’Aristote. Actuellement la douleur est définie comme une émotion et une sensation.

Ses idées vont dominer le monde pendant toute l’antiquité tardive et le moyen age soit près de 1500 ans !

1.3  Nos ancêtres les gaulois :

La médecine gauloise utilise les antalgiques à base de saule de gui et de lierre, tradition druidique oblige, et développe la balnéothérapie pour le gaulois rhumatisant. Les trois stations thermales  de Neiris (pour le dieu Nerios) La Bourboule (Boruo) et Luxeuil (Luxouios) nous ont laissé d’importantes traces. Des travaux archéologiques sont en cours pour dégager les restes de la station de Dolorix, probable premier centre antidouleur de la planète.   

1.4 Le Moyen âge:

La médecine devient une histoire arabe et juive. L’église chrétienne fige la recherche médicale, en faisant disparaître toute la littérature gréco-romaine tant philosophique que médicale, en interdisant la dissection. Le roman et film Le nom de la rose en sont une belle illustration. Les ordres monastiques prennent le pouvoir dans la chrétienté, imposent le célibat des prêtres et freinent tout progrès scientifique. L’Islam est alors tolérant et ouvert. Les médecins arabes et juifs vont traduire les auteurs de l’Antiquité et poursuivre l’avancée des connaissances jusqu’à la Renaissance nouvel éclairage en Occident.

Le lozérien Gui de Chauliac devient le chirurgien du pape Clément VI à Avignon, également lozérien, et réussit une  trépanation du crâne papal pour traiter ses migraines rebelles. Contre la douleur, il propose « l’évacuation » ou la ligature. Lors de la grande peste de 1348, Gui de Chauliac obtiendra du pape, l’exceptionnelle autorisation de disséquer les cadavres pour comprendre la maladie. La faculté de médecine de Montpellier doit son essor à la proximité d’Avignon et du forum médical international ainsi généré. Un tiers des médecins de la papauté était montpelliérains. Le médecin arabe nestorien Hunain Ibn Ishaq à Bagdad traduit au 9ème siècle tous les ouvrages médicaux de l’Antiquité (5). Avicenne utilise l’opium, le saule et la mandragore. Cette plante est riche en alcaloïdes parasympatholytiques délirogènes. L'inhalation d'un mélange de mandragore jusquiame et opium a un usage somnifère et antalgique. A la suite de Saint Augustin « Nul ne souffre inutilement », le christianisme positionne doublement la douleur : soit châtiment de Dieu, soit condition d’une récompense possible dans l’au-delà. La douleur est salaire de la faute et voie du salut. Le purgatoire lieu des souffrances physiques est imaginé au 12ème siècle. La morale chrétienne est alors à l’opposé de notre éthique médicale. Concurrence et rivalité prolongent l’obscurantisme.

1.5  La Renaissance et la Réforme protestante bouleversent la morale et introduisent la pensée positiviste du 18ème siècle : elles inaugurent la démarche scientifique.

La renaissance ouvre la naissance de l’individu. Vésale reprend la dissection de cadavres humains et corrige l’anatomie de Galien fondée sur les singes macaques.

Ambroise Paré, chirurgien barbier puis de 4 rois de France soigne sur les champs de bataille des guerres de religion et pose les fondements de la chirurgie. Il décrit les névralgies et la douleur du membre fantôme. Après Luther qui dénonce dans ses 95 thèses en 1517 les Indulgences vendues au profit du pape Léon X pour payer l’aménagement du palais du Vatican, Calvin définit la grâce et la prédestination : le corps n’est plus dépendant de l’église, il s’affranchit du dolorisme et de l’expiation. Il n’y a plus obligation de racheter ses péchés. En Europe la Réforme a ouvert la voie aux encyclopédistes, à la recherche fondamentale et à la liberté de pensée. Il faudra attendre le XXème siècle et le controversé Pie XII pour ouvrir l’aggiornamento du dolorisme catholique et Jean-Paul II pour réhabiliter Galilée.

Montaigne oeuvre pour l’expérience laïcisée de l’individu, un corps assumé dans la vérité de ses sensations. Il inaugure l’autobiographie et définit la douleur comme le « souverain mal ». Il pense la douleur en proximité avec la mort ce qui redouble nos craintes. Durant une partie de sa vie, Montaigne souffrira d’une lithiase urinaire et recherchera l’ataraxie épicurienne, l’absence de mal. Il a une approche stoïcienne de la douleur et de la vie: philosopher c'est apprendre à mourir.

1.6 A l’âge classique, le dualiste Descartes nous dit que la douleur est une perception de l’âme et situe le lieu de convergence de toutes les sensations dans la glande pinéale. Une araignée au centre d’une toile. Spiderman dans le web. Conséquence du cogito, l’animal ne souffre pas puisqu’il ne pense pas qu’il souffre…L’Homme ne peut décidément pas perdre sa place au sommet de la création ! Sydenham expérimente le laudanum: vin d’Espagne opium safran cannelle girofle. La douleur est un afflux désordonné d’esprits animaux. La Rochefoucauld dénonce le piège narcissique d’un Pascal mélancolique glorifiant l’endurance à la douleur. Le 17ème est un siècle de débat sur l’expérience intime de la douleur.

1.7 Le Siècle des Lumières :

La douleur se laïcise dans la conscience médicale. Le philosophe empiriste anglais Locke réfute la doctrine de Platon et de Descartes sur les idées innées, antérieures à toute expérience dans l’esprit humain. La sensation associée à la réflexion, est le point de départ de toute connaissance. Il penche plus pour la culture que pour la nature. La recherche va approfondir la notion de sensation, donc de sensibilité. Il y a un retour de la clinique, de la séméiologie et de la médecine d’observation. L’utilité de la douleur pour l’Homme est réévaluée : « Amie sincère, elle nous blesse pour nous servir », « C’est le tonnerre qui gronde avant de frapper ». Trois écoles médicales s’affrontent : Les mécanistes pour lesquels la douleur est la conséquence d’une distension des fibres. Les animistes pensent que la douleur est le signe d’un conflit intérieur ; ils ouvrent une interprétation psychologique du symptôme, étonnante intuition préfreudienne. Le montpelliérain François Boissier de Sauvages (1706-1767) écrit dans son Traité des classes des maladies (1731) : « L’instinct regarde comme mauvais ce que la raison avait trouvé bon. De là l’origine des maux tant moraux que physiques ». Il est le premier à écrire les termes de maladie douloureuse chronique : « il existe des gens souffrant de la gravelle et d'autre de la gangrène, mais je rencontre aussi des hommes souffrant beaucoup et longtemps je les appellerais souffrant de la maladie douloureuse chronique".Enfin les vitalistes s’appuient sur une conception moniste de l’Homme. Ils chantent un hymne à la sensibilité, entre plaisir et douleur, et à l’énergie vitale. La douleur est utile, elle n’est pas un moyen de résignation, mais une lutte pour la vie et requiert un traitement de choc ! Bichat distingue le système nerveux végétatif du système nerveux central. Les douleurs viscérales sont individualisées. Il décrit également la notion de seuil de la douleur. La méthode expérimentale devient incontournable en physiopathologie. Sur le plan thérapeutique, le médecin du 18ème utilise couramment l’opium importé de Turquie. Les vitalistes diffusent l’électricité médicinale après les travaux de Galvani et de Volta. Mais souvent le traitement consistera en flagellation, friction, urtication, moxa et cautère : infliger la douleur pour la guérir. Un univers sadien conforme à l’époque… « Sentir et vivre sont la même chose » disait Diderot.

1.8 Le XIXème siècle et les progrès de la chirurgie :

Décembre 1806, Massachusetts, USA. Une jeune femme a une douleur abdominale intense. Elle se croit enceinte. Un chirurgien itinérant,le Docteur DOWELL, passe par là. Il va de ville en ville, il arrive à cheval. Il diagnostique une tumeur ovarienne. Poussé par la demande de la femme et des villageois, il accepte l’ovariectomie et la réalise sur la table de la cuisine dans la maison de la patiente. Tumeur de 7 kg. Il transgresse le principe moral : «  Nul ne parviendra à exciser les tumeurs internes quelles que soit leur origine ». La chirurgie des organes internes était jusqu’alors formellement interdite, seule l’orthopédie était pratiquée ainsi que la césarienne. Ephraim Mac DOWELL réalise  donc la première intervention chirurgicale sur les organes internes. La douleur humaine et la pression populaire poussent donc DOWELL à transgresser les interdits déontologiques.

Pour mémoire le premier chirurgien à ouvrir un abcès appendiculaire sera Henry HANCOCK en 1848.

La césarienne est une opération dont la première mention remonte à une loi de Numa Pompilius (715-672 avant JC), second roi légendaire de Rome. D’après cette loi, aucune femme morte en couches ne pouvait être enterrée avant que l’on eût extrait son enfant par une incision abdominale. En pratique, jusqu'au début du XXème siècle, la mortalité des mères est proche de 100 %. Les surinfections étaient systématiques et terribles. Les médecins passaient d'une autopsie à un accouchement sans se changer ni se laver les mains! Le Docteur Ignace-Philippe SEMMELWEIS (1818-1865), sujet de thèse de Louis-ferdinand CELINE, fut le premier a fonder l'hygiène. Alors brisons là une légende: César n'est pas né par césarienne. Dans un texte, il parle de sa mère qui est toujours vivante. CQFD. Le mot césarienne vient du latin coedere, couper. La première césarienne (connue dans les Temps modernes) semble avoir été faite, en 1610, par le chirurgien allemand Jeremias TRAUTMANN.

Jean-Dominique LARREY (1766-1842): chirurgien de Napoléon I, il participe à toutes les batailles et assiste à la terrible retraite de Russie, accompagne les blessés, opère sans relâche. Le Baron LARREY pense qu’il est préférable d’amputer tôt et vite, tant qu’existe l’anesthésie physiologique après tout choc. En 1828, il sera le seul soutien à la première communication faite à l’Académie de Médecine, sur les essais d’anesthésie pré-opératoire réalisés en Angleterre.

1.9  Le XIXème siècle et l’âge d’or du progrès médical:

Le gaz hilarant ou protoxyde d’azote [N2-O] est issu de la fermentation de la bière dans les brasseries ; un dentiste de Boston -encore le Massachusetts- assiste à une représentation de cirque ambulant en 1842 sur la côte Est. Lors d’un numéro, un homme se plante des aiguilles dans le corps et plus il en plante plus il éclate de rire. Le dentiste Wells décide d’essayer ce produit sur ses patients. C’est la protohistoire de l’analgésie. Mais il se suicidera au chloroforme en 1847, un collègue essayant de lui voler la paternité de sa découverte… Plus tard l’éther et le chloroforme confirmeront les débuts de l’analgésie. Les premiers à défier les dogmes des académie de médecine et académie des sciences  seront les dentistes du Nouveau Monde et quelques rares chirurgiens. Face à la douleur aiguë de l’abcès dentaire et sous la pression de leurs patients, ils utilisent l’analgésie. En 1847, les académies donnent leur aval, pressées par l’opinion publique. Suivent la découverte du véronal et de l’aspirine par Hoffmann et Bayer en 1899.Nous verrons qu’après la seconde guerre mondiale, les anesthésistes seront les novateurs.

1.10 Le XXème siècle : la création de centres antidouleur ou Pain clinics :

Au cours des années 1940, les premières cliniques de la douleur ont vu le jour en Angleterre et aux Etats-Unis. Les anesthésistes offraient des traitements par injections d’anesthésiques locaux et d’agents neurolytiques aux cancéreux, aux patients en postopératoire et parfois aux douloureux chroniques. Durant la seconde  guerre mondiale, le docteur John BONICA, anesthésiste, fut assigné à la prise en charge de soldats présentant des douleurs chroniques. Rapidement il réalise que les approches limitées aux infiltrations ne peuvent remédier aux problèmes complexes de sa patientèle. Après la guerre, il approfondit sa compréhension du phénomène de la douleur chronique et propose le concept de l’approche multidisciplinaire avec la création en 1961 de la «  Washington University Multidisciplinary Pain Center ».

Trois types de clinique anti-douleur existent.

1 Certaines se limitent à une seule modalité thérapeutique appliquée à un nombre limité de pathologies comme un centre pour le traitement de la migraine.

2 D’autre emploie un  ou plusieurs spécialistes algologues associés à un intervenant en thérapie comportementale (psychiatre ou psychologue)

3 Le modèle le plus élaboré est le centre interdisciplinaire majeur. Habituellement rattaché à un CHU et dirigé par un médecin algologue. Au Canada 40% des cliniques anti-douleur sont dirigées par des anesthésistes. A leurs cotés, on retrouve une équipe permettant une approche interdisciplinaire, constituée de neurologue, rhumatologue, rééducateur fonctionnel, acupuncteur, psychiatre, psychologue, sophrologue…

Pluridisciplinarité :

Le centre anti-douleur invente donc la multidisciplinarité dans un milieu médical plutôt individualiste, car l’abord du douloureux chronique est complexe. La pluridisciplinarité est une nouvelle dimension dans les relations professionnelles; elle promeut le transversal plutôt que le vertical, la collégialité plutôt que la hiérarchie.

La pluridisciplinarité est une invention américaine anglo-saxonne. Le monde anglo-saxon, peuple de marins, de voyageurs aux comptoirs disséminés sur la planète et de protestants refusant la hiérarchie -le protestantisme est une religion horizontale, sans hiérarchie- est à l’origine du fonctionnement en réseau. Si Internet est aussi une invention américaine d’abord militaire puis développée par la recherche universitaire américaine civile, ce n’est pas un hasard. Le web est l’héritier de ce fonctionnement en réseau. A l’inverse la France est un pays de hiérarchie, de système pyramidal hérité du catholicisme, des baronnies franques du Moyen-âge chez un peuple de ruraux terriens. Derrière l’accentuation du développement des réseaux de soins, voyons l’influence anglo-saxonne, dont la pluridisciplinarité est une des conséquences naturelles. Pour bien fonctionner, elle implique un respect mutuel, une égalité, une maturité mettant à l’abri de réaction de prestance, de prise de pouvoir, une collégialité au sens latin du collegium, faire la loi ensemble. Là encore le système hospitalo-universitaire anglosaxon est bien en avance sur notre construction mandarinale nommée à vie.

Au premier stade chacun reste à sa place et donne son avis clinique et thérapeutique selon la lorgnette de sa spécialité. La consultation s’ordonnance autour d’un « jeu de rôles » dont la trame est globalement prédéfinie.

A un stade plus avancé, les places et spécialités peuvent se mouvoir. L’algologue ou le rhumatologue peuvent avancer un diagnostic psychiatrique ou une explication psychopathologique, le psychiatre peut lire et interpréter les radios, le scanner ou proposer une piste  étiologique organique. Le staff devient un lieu vivant de brain storming  créatif et ouvert. Avec les années de collaboration, le croisement des connaissances brouillent les places, introduit une confusion des places, dans un processus de shaker fécond si le fonctionnement est fluide. La maladie est souvent synonyme de « thrombose vitale » et la fluidité des soignants peut profiter au malade.

Enfin, le malade est très souvent rassuré par la pluridisciplinarité. Tant de médecins autour de lui et penchés sur son cas  est revalorisant narcissiquement et sécurisant pour la prise en charge. La médecine idéale devrait être tout le temps pluridisciplinaire car l’homme est UN, et sa complexité sans fin.

Hippocrate disait déjà que le médecin est à la foi médecin du malade et de la maladie. Il faut être « bicéphale » souligne le philosophe Michel SERRES.

Mais ne soyons pas naïf et utopiste. La pluridisciplinarité a un coût financier élevé. Elle ne peut exister que dans le cadre du service public et dans un contexte de plénitude budgétaire. Alors la question reste posée: survivra-t' elle à l'optimisation des coûts de la santé et aux restrictions budgétaires afférentes?

1.11 Fin du 20ème siècle, l’ère de la jouissance :

La jouissance sera collective dans les années 60/70 avec le mouvement hippy et communautariste. La jouissance devient plus individuelle dans les années 80/00.

Après les malheurs, les souffrances et les génocides subis par la génération de la guerre 39-45, la jeune génération du baby boom revendique le primat du principe de plaisir. Elle le revendique d’autant plus cette classe moyenne - fruit de la croissance économique inouïe que connaissent les pays développés depuis la fin de la guerre- qu’elle a enfin les moyens économiques de s’offrir des plaisirs jusque là réservés à une minorité de nantis. Alors elle consomme de tout. Et cela continue avec la génération suivante. Le consumérisme devient roi.

Mais revenons en arrière. Quand éclatent les évènements de mai 1968, le général De Gaulle demande à son petit fils Yves : « Mais enfin vous les jeunes, que voulez vous ? »...« Jouir, grand-père » lui répond le jeune homme bien en mal de l’aider à traduire ses  mots dans un quelconque langage politique.

Les sociologues disent que nous sommes passés du negotium (travail) à l’otium (loisir), de l’ancienne idéologie bourgeoise basée sur le travail et l’argent, à la culture du loisir et du plaisir apanage de la noblesse. Les tabous tombent : le ski et le tennis dans les années 60, le sexe (70), l’argent et la réussite (80), le chômage (90), la médiatisation de la vie privée et être enfin star d’un jour surtout si vous êtes une victime. Les héros du 20ème siècle aventuriers de l’extrême, des sciences, héros de la résistance… ne sont plus souhaités. Les victimes (de pédophile, d’enlèvement ) font le bonheur des médias (2004). Quel sera le prochain tabou à tomber ?

La polémique persiste entre médecine « naturelle » et médecine  « curative » Restauration de la toute puissance du médecin. Fournir du jouir, de la consommation médicamenteuse pour éviter l’explosion sociale. La chimie, les gestes médicaux ou chirurgicaux, les médicaments  offrent des antidépresseurs contre les larmes, des anxiolytiques contre le stress, des antalgiques contre la douleur, des péridurales et des césariennes à l’accouchement. En 1996 dans son rapport pour le ministère de la santé le professeur Edouard ZARIFIAN dénonce cette « médicalisation abusive de l’existence ».  Anesthésie collective. Les psychotropes sont massivement distribués dans les prisons pour éviter des révoltes possibles, avec d’autant plus de bonnes raisons que le pourcentage de malades mentaux incarcérés ne cesse de croître. La toxicomanie dans les Cités sensibles génère une économie souterraine. La vente légale du cannabis ferait disparaître une source de profits, certains ont imaginé de probables émeutes.

Curieusement la douleur resurgit ailleurs : en 2003 Microsoft a sorti un jeu vidéo Voodoo Vince, poupée vaudou froussarde qui doit déployer des trésors de masochisme pour sauver sa peau. Le slogan est « Partagez ses douleurs » et il faut s’infliger le mal pour en produire l’effet sur l’ennemi. Un principe à méditer ?

1.12 Origines de l’abstention thérapeutique face à la douleur

Active ou passive, l’abstention thérapeutique du soignant  face à la douleur  puise ses racines dans divers creusets philosophique, culturel ou religieux sous jacents :

1 Conception hippocratique : La clinique hippocratique et son souci de la pureté séméiologique. Descartes en 1664 : « la douleur n’est ni plus  ni moins qu’un signal d’alarme dontla seule fonction est de signaler une lésion corporelle ». Descartes considérait l’esprit comme une entité distincte entretenant peu de liens avec « le corps mécanique ». Nous savons maintenant que Descartes s’est trompé : le dualisme est une construction de l’esprit, le monisme était la bonne réponse.

2 Conception stoïcienne : La philosophie stoïcienne apparaît en opposition à l’épicurisme. L’épicurien veut le plaisir ici et maintenant ; Epicure disait « le sens de la vie est de fuir la souffrance ». Le stoïcien se figure que la douleur dans le présent lui garantit un plus grand plaisir dans le futur. Et plus il souffre maintenant, plus il est persuadé qu’il sera récompensé demain.

Freud très affecté par un cancer de la mâchoire a rejoint l’approche stoïcienne : « tant que l’homme souffre, il peut encore faire son chemin dans la vie ».

 3 La martyrologie militaire ou religieuse : la douleur est la voie du salut, ou a valeur initiatique ou salaire de la faute.

Mourir en martyr chez les premiers chrétiens puis dans l’islam, ouvre les portes du paradis. « Martyr » vient du latin ecclésiastique et signifie « celui qui a souffert de torture et est mort pour attester la vérité de la religion chrétienne ».

Au Mexique, les Aztèques pratiquaient le sacrifice humain à tour de bras pour que le soleil continue de se lever chaque matin. Pour ces indiens, on n’est pas jugé sur ses actes mais sur la qualité de sa mort. Et plus elle est violente et douloureuse, plus on a de chances d’accéder au paradis. Les meilleurs candidats ? Le guerrier tombé face à l’ennemi , la femme succombant à un accouchement , la victime sacrifiée sur l’autel en offrande , pour garantir la clémence du dieu suprême Quetzalcóatl , le serpent à plumes , maître de l’air et des phénomènes atmosphériques.

 Emprunte catholique doloriste : La Tradition catholique  magnifie la Passion du Christ et le dolorisme afférant, aux confins du masochisme moral voire physique. La douleur est le chemin obligé vers la rédemption et l’absolution des pêchés. Le rachat du pêché originel passe par la souffrance. La punition et la culpabilité s’épanouissent dans le jansénisme issu de la Contre Réforme. La médecine européenne a toujours entretenu des liens étroits avec la morale catholique et certaines postures thérapeutiques (douleur, IVG, contraception et sida, thérapie génique, diagnostic pré implantatoire DPI, adoption par couples homosexuels…) en témoignent.

4  Conception darwinienne: La douleur est une balise Argos des espèces. Certains scientifiques ont  imaginé une théorie sur l’extinction des dinosaures : les lézards géants auraient disparu de la surface du globe par dégénérescence du système d’alerte algique. Ils se seraient fait dévoré vivant par nos ancêtres mammifères, petits rats. Notons également  la courte espérance de vie des êtres humains atteints d’agénésie des circuits de la douleur.

Hypothèse récente sur le cimetière des éléphants : il s’agirait d’anciens points d’eau où les éléphants viennent calmer leurs douleurs ante mortem dans la boue, pour une fangothérapie palliative.

Argos (brillant) la balise de détresse des navigateurs en perdition,  devient la balise « algos » du vivant. « Algos » signifie autant douleur physique que souffrance morale et a à voir avec la peine et l’affliction.

5 Conception sado-masochiste: La douleur chronique apparaîtrait préférentiellement chez des gens structurellement masochistes. Les soigner serait une stratégie sadique…Notons la fréquence des antécédents de maltraitances physiques et agressions sexuelles dans l’enfance, plus élevée dans l’anamnèse des douloureux chroniques. Ajoutons la notion de masochisme gardien de vie.

Notre société est antidouleur « algophobe », et nous, combattants de la douleur seront les « algoclastes » embarqués sur la galère des algonautes. N’oublions pas que la douleur génère des profits importants pour les grands groupes pharmaceutiques. N’oublions pas l’augmentation des addictions médicamenteuses. L’entreprise libérale devient, comme les hommes politiques-«  une pousse au jouir »

Les utopies -qu’elles soient sociétale, idéologique, religieuse, médicale- qui proposent une vie sans souffrance sont légitimes mais immatures. La souffrance n’est elle pas  le corollaire de notre humanité, de notre vieillissement et de notre finitude ? Traiter la douleur, inutile et destructrice n’exclut pas la mort ; les équipes de soins palliatifs ont parfaitement nuancé de manière pragmatique des débats théoriques décalés.

Pour paraphraser André Malraux, le 21ème siècle sera-t-il spirituel ou plus vraisemblablement toxicomaniaque ?



II -HISTOIRE  DU  SUJET : LES STADES  DU DEVELOPPEMENT  PSYCHOLOLOGIQUE

2.1 Stade pré natal et influences de l’accouchement.

De nombreux travaux depuis Freud, beaucoup de théories, de convictions et de fantasmes, d’autant que l’approche méthodologique, l’étude des données, la mesure des résultats, manquent de rigueur scientifique.

On sait que le fœtus réagit à des stimuli sonores extérieurs, aux manifestations émotionnelles majeures de sa mère.

Une étude danoise récente publiée en septembre 2000 dans le Lancet retient notre attention : elle porte sur 25 000 gestantes. Le stress majeur (décès d’un proche, découverte d’un cancer) durant la grossesse augmente de 54 % le risque relatif ajusté de malformations cérébro-médullaire fœtale et de 14 % celui d’autres malformations. Ce risque est plus que doublé (2,6) si deux drames frappent durant la grossesse. Il est même triplé lors d’une deuxième grossesse, si celle-ci est soumise à un nouveau drame. L’événement qui retentit le plus sur le fœtus est la mort d’un enfant de la fratrie lors du premier trimestre de grossesse. Si le décès est inopiné (mort subite du nourrisson) le risque de malformations neurologiques (crête neurale)  est multiplié par 8,26. A noter le retentissement des drames impliquant le partenaire ou le mari est moindre. Importance de prendre en charge adéquatement et rapidement les femmes enceintes vivant des drames.

Le traumatisme de la naissance: Otto Rank, le sentiment océanique …

Pour Rank, chaque plaisir aurait pour but final le retour à la béatitude primitive intra-utérine, notamment par l’acte sexuel

2.2 Le stade du miroir

Individualisé par Lacan (1936), suite à l’observation éthologique du comportement des jeunes singes devant le miroir. Les ethologues ont montré que 4 espèces animales seulement se reconnaissent dans le miroir: les hommes, les grands singes, les dauphins et les éléphants. Dans la pathologie psychiatrique, une personne atteinte de schizophrénie, montre de grandes difficultés à cette reconnaissance spéculaire. Entre 6 et 18 mois, le stade du miroir (SDM) est un moment génétique fondamental : constitution de l’ébauche du moi. L’enfant perçoit dans l’image du semblable ou dans sa propre image une forme (Gestalt) dans laquelle il anticipe une unité corporelle qui fait objectivement défaut : il s’identifie à cette image et « jubile ». Cette expérience est au fondement du « moi idéal », souche des identifications secondaires. Au fantasme du corps morcelé, succède l’avènement du narcissisme primaire. Pouvoir dire JE. La Première identité advient.  Plus tard viendront les identifications sexuées : JE suis une FEMME ou un HOMME…

Distinguer le moi idéal de l’Idéal du moi instance surmoïque parentale.

2.3 Le stade oral

La pulsion se définit par sa source, son objet et son but.

La Source montre la primauté de la zone buccale comme zone érogène et plus largement -tout le carrefour aéro-digestif, les organes de la phonation et donc le langage (les beaux parleurs). Mais par extension, les organes des sens : gustation, nez et olfaction (le stade nasal n’existe pas mais dans Le parfum, Patrick Suskind l’invente), l’œil et la vision « dévorer des yeux ». Egalement le toucher et la peau font partie du monde de l’oralité. Dermatoses psychosomatiques ou ceux qui dans les ébats sont hypersensibles à des attouchements de région fort éloignée des zones génitales. Ainsi la première année de la vie sensibilise à l’apport de nourriture mais aussi de caresses et autres chatouilles !

L'Objet est le sein maternel ou ses substituts

le But, c'est la stimulation autoérotique de la zone buccale, avec le désir d’incorporer des objets : chez le nourrisson  le plaisir « d’avoir » se confond avec le plaisir « d’être ». Voir la régression du consommateur ou de la boulimique …Il ne s’agit pas d’un « avoir » au sens de posséder (anal) mais d’obtenir.

J’incorpore donc je suis.

A noter la peur d’être mangé (psychoses, fantasmes, rêves)

La Relation d’objet : c’est une interrelation dialectique : la façon dont le sujet constitue ses objets mais aussi la façon dont ceux-ci modèlent l’activité du sujet.

Le premier objet est la mère, en fait des « objets partiels », des morceaux de mère comme le sein, le biberon.

Puis il y a découverte réelle des objets, lors des  moments d’absence de l’objet anaclitique, la mère ou toute personne dont les interventions le maintiennent en vie. Puis l’enfant apprend à différencier ses impressions et catégoriser les objets ressentis comme dangereux et ceux aimés et donnant confiance.

Une étude parue en septembre 2000 dans Nature Médicine :

Les prématurés agressés pendant 3-4 semaines  par les explorations invasives  en soins intensifs de réanimation, développent une apathie marquée aux gestes douloureux ultérieurs tels que vaccinations, prises de sang durant l’enfance. En revanche les enfants nés à terme et placés en soins intensifs réagissent par une hyper sensibilité avec cris++ aux douleurs futures. Il y a donc un calendrier neuropsychologique de l’adaptation à la douleur. Une vive douleur expérimentée très tôt induit une réduction des stimuli douloureux. Plus tard, elle l’amplifie.

L’équipe de Francesco d’AMATO démontre dans la revue Science (2006) le rôle spécifique des opioïdes dans l’attachement à la mère: aveugle, sourd et affamé, un souriceau ne peut s'occuper de lui-même. Séparé de sa mère, il se met à l'appeler désespérément. Sauf s'il est dépourvu de récepteurs morphiniques : il semble alors indifférent à cette séparation. L'émotion douloureuse que provoque une séparation utilise les mêmes facteurs que la douleur physique. En l'occurrence, les souriceaux dépourvus de récepteurs μ n'appellent pas leur mère lorsqu'ils sont placés dans un environnement dépourvu de l'odeur de cette dernière. Ce travail confirme le rôle du réseau cérébral de la douleur dans le vécu subjectif de séparation et d'exclusion. Il rejoint également une observation récente : celle d'une céphalée de tension déclenchée par un deuil (séparation) chez une patiente insensible congénitale à la douleur.

2.4  Le stade anal

Entre 2 et 3 ans, l’enfant acquiert une indépendance relative. Le contrôle sphinctérien permet à l’enfant une certaine maîtrise.
Au stade anal se rattachent plusieurs concepts :
- La monnaie d’échange, le cadeau, l’argent.
- Le sadomasochisme
- Le sentiment de toute puissance, la maîtrise et la domination (cela rejoint la possession)
- L’ambivalence
- La bisexualité et l’homosexualité
- Le couple activité /passivité : l’enfant perçoit l’extérieur sur un mode manichéen, à travers une série de couples antagonistes : gentil ou méchant, beau ou laid, petit ou grand, le plus fort ou le plus faible.

En résumé, la dynamique pulsionnelle anale peut se formuler: Je possède donc je suis.

2.4 Le stade phallique

Après 3 ans l’enfant ne commence pas pour autant à prendre conscience de sa différenciation sexuelle, car seul le pénis a valeur d’existence tant pour le garçon qui en est pourvu que pour la fille qui ne l’a pas. Cela reste un stade prégénital.

On y décrit l’érotisme urétral et sa dynamique du laisser couler. En clinique les problèmes d’énurésie, d’éjaculation précoce chez les hommes et chez les filles une propension à laisser couler les larmes, peuvent témoigner d'une fixation-régression au stade phallique.
Les concepts liés au stade phallique sont:
- La curiosité sexuelle infantile, l’origine des enfants, la procréation, la grossesse, la scène primitive, le voyeurisme (scoptophilie)
- L’angoisse de castration narcissique: le pénis est un phallus c’est à dire un signe de puissance et de complétude. Il peut être déplacé sur des objets symboliques de type gratte-ciel, BMW, et autres 4x4. La surcompensation virile dans ce type d'engins (!), témoigne d'une identité sexuelle encore précaire. Il faut lire Regardes ce que j’ai, c’est ce que je suis.
Il faut surtout bien distinguer l’angoisse de castration narcissique de l’angoisse de castration génitale, œdipienne, le pénis est alors un organe à procurer du plaisir à soi-même et à l’autre. L'altérité est mise en place.

2.6 Le complexe d’Œdipe

Comprendre  l’essentiel : il structure l’identification sexuée : devenir homme et/ou femme.

Je suis un homme/une femme.

Importance de la triangulation grâce au tiers structurant.



III - RENCONTRE ENTRE L’HISTOIRE DU SUJET ET LA DOULEUR : LE  DEUIL

3.1 Le deuil :

De là viennent mes larmes et ma douleur: Lacrymae hinc, hinc dolor (Catherine De Médicis 1559)

Le mot deuil  est issu du bas latin dolus qui signifie douleur !

Les symboles du deuil sont une permanence dans l'espèce humaine, quelques soient les cultures. Dans la pâque juive, pessah, l’œuf a une place importante sur la table du Seder. Le Seder est le repas rituel pris les deux premiers soirs. Cet œuf dur, noirci sur une face, a pour fonction de rappeler la désolation, la dureté de l'esclavage; cet œuf sur le Seder rappelle aussi le sacrifice au Temple de Jérusalem, l'agneau qu'on ne peut plus offrir parce que le Temple a été détruit. Ainsi, dans le symbolisme juif, l’œuf, dur, a généralement une valeur de deuil, c'est quelque chose qui n'a pas encore la vie, c'est une vie avortée. Les plumes de la corneille sont le symbole du deuil et on les utilise lors des cérémonies funéraires chez les sioux. Les sioux prient avec des plumes de corneilles. En Europe, coquelicots, asphodèles et cyprès sont quelques-uns des végétaux symboles de deuil.

Le deuil est normal, il est même constructeur d'une culture, d'une civilisation, d'une transmission: un peuple vivant est un peuple habité par ses morts.

Dans notre société, nous essayons de lisser l’horreur de la mort par une cosmétique généralisée. Mais la mort troue le masque et nous interroge de façon radicale. Perdre l’autre, c’est aussi perdre ce que je suis pour le mort. La mort emporte une partie de l’endeuillé, son désir, son regard etc. Le deuil c’est aussi perdre en moi ce que l’autre emporte de moi avec lui. Le survivant ne manque plus au mort, il n’est plus aimé par l’autre, mort. Le surmoi social peut aussi accabler l’endeuillé, le pousser à se retrancher sur sa douleur par un effet de déliaison; il lui interdit les manifestations de douleur qu’il peut avoir : Reste digne, Ca ne se fait pas…Face au réel de la mort, à ce gouffre trop visible, le but de l’Art est bien souvent de donner et faire sépulture. La thanatopoïèse. Dire le deuil conduit à faire œuvre de sépulture et s’inscrit dans une transmission. Avec la mort, essayons de faire de la beauté. Toute œuvre est testamentaire.

De nombreux cliniciens pensent que c’est plus la quantité, la sommation de plusieurs deuils qui est pathogène qu’un seul grand deuil. La mort du petit chat peut réellement décompenser un être fragilisé.

Les facteurs psychologiques dans la douleur chronique peuvent se résumer à 3 situations :
1 La douleur chronique surgit dans un contexte organique vierge, c’est une douleur « sine materiae », en faveur d’une psychalgie
2 La douleur chronique est d’origine organique, c’est la douleur « cum materiae », mais elle déclenche une décompensation psychiatrique le plus souvent à type de syndrome dépressif, qui va lui-même entretenir et aggraver la douleur chronique
3 L’atteinte organique survient sur un terrain psychique fragilisé et les deux tableaux évoluent de concert. En pratique courante, dans un contexte de deuil.

Toute notre vie est constituée d’une succession de deuils. A tel point qu’une psychanalyste déclarait récemment : «  la vie est une maladie et la santé est la capacité à s’adapter à cette maladie ».

Une petite liste pour se remonter le moral:
- Le deuil du bien-être intra utérin
- Le deuil de rester bébé, de quitter l’école maternelle au CP, l’école primaire en 6ème, quitter l’enfance et l’insouciance quant l’adolescence se profile
- Quitter les parents à l’âge adulte. Le cocooning et le syndrome de Tanguy sont de plus en plus fréquents.
- Deuils du premier amour déçu (à l'origine de tentatives de suicide chez les adolescents)
- Deuil d’une vie amoureuse volage quant l’heure du « sérieux » a sonné
- Deuil du diplome ou du métier fantasmé auquel on ne parviendra jamais
- Chômage, divorce, morts dans l’entourage, départ des enfants: le syndrome du nid vide
- Deuil de la pleine santé quand la maladie, les handicaps physique ou psychique pointent leur nez l’age venant : « vieillir ? quand les bougies coûtent plus cher que le gâteau ». Citons Montaigne : « philosopher, c’est apprendre à mourir ».
- Deuil de vivre quand notre heure de mourir est imminente. Accompagnement au mourant en soins palliatifs.

Dans le deuil il y a toujours de la séparation et de la perte.

L’objet perdu lors d’un deuil, c’est l’objet des investissements affectifs :
-  Un être humain (parent, ami), ou animal familier
- Des choses, objets comme la voiture, les bijoux après un cambriolage
- Des idéaux comme le travail perdu, la position sociale, ou une idéologie (communiste, IRA…)


3.2  Le travail de deuil évolue à travers 5 phases

Les travaux du Dr Elisabeth KUBLER-ROSS, psychiatre suisse émigrée aux USA, ont bien étudié les différentes étapes:
1 Le choc et le déni: le choc initial entraîne une sidération, un stress émotionnel et un refus d'admettre la réalité, la vérité.
2 La colère et la décharge agressive.
3 Le marchandage: phase de négociations, de chantages...
4 La période dépressive: c’est la période noire et active du deuil, là où les remaniements psychiques sont les plus actifs. On décrit parfois «  l’hémorragie narcissique »
5 L'acceptation et l’adaptation à la nouvelle situation et parfois véritable résurrection, le sujet réinvestit le monde extérieur, retrouve des projets et des désirs. Il restera une cicatrice psychique, que j’appelle la « psychatrice ». En pratique la douleur chronique est bien souvent l’expression d’un travail de deuil (travail de trépas au canada)  inachevé voir pétrifié. Alors s’introduit la notion de souffrir pour exister.


Pour que le deuil soit dépassé,il faut que l’objet meure 2 fois : Une première fois dans le réel. Une seconde fois dans la réalité psychique du sujet, où il doit être désinvesti, rangé dans la mémoire et permettre une cicatrisation psychique. Le mythe d'ORPHEE illustre très bien cette double mort dans le deuil. EURYDICE est morte suite à une morsure de vipère, elle est en enfer et ORPHEE réussit par la beauté de sa musique à convaincre ARES le gardien des enfers, de descendre vivant, aux enfers mais s'il se retourne pour voir EURYDICE...Il se retourne et elle meurt une seconde fois. Le mythe métaphorise le travail de deuil. Le travail de deuil implique une perte d’une partie  de soi-même, cette partie qui dépendait de l’autre dorénavant disparu (cf. les rêves de perte de dent, les rêves récurrents du père qui ne sait plus conduire la voiture et le fils doit prendre le volant dans l’urgence).

En allant plus loin, la mort de l’autre anticipe notre propre mort. C’est dans cette quatrième phase que les désordres somatiques apparaissent.
Afin d'illustrer mon propos, voici quelques phrases de patients, que j'ai noté:
La vraie vie commence quand les enfants ont terminé la fac et que le chien est mort
J’ai le souvenir de ma femme décédée mais je n’ai plus la tristesse
Je  n’ai pas envie de sortir du deuil car ce serait oublier mon fils; dans la douleur je suis plus proche de lui
Je veux bien voir venir tout un tas de périodes de deuil mais en tout cas je suis dans le trou
Parler de mon frère, c’est l’enterrer enfin, ne pas en parler c’est y penser sans cesse
Je ne cicatrise jamais de mes blessures, ça coule toujours, je suis un hémophile psychique 
Le psychiatre pédagogue : « Madame, dans la dépression de deuil, il y a toujours des troubles de la mémoire des faits récents. Par contre les faits anciens sont parfaitement conservés »  La patiente : « ça devrait être l’inverse ! 
Je suis plus proche de celui qui n’est plus que de ceux qui sont 
Le deuil c’est comme être bloqué dans un ascenseur entre deux étages 
Le départ de mes enfants, c’est comme un trou dans la coque, j’essaie de ne pas couler, il faut écoper

Les travaux récents explorent les processus de réparation de la dépression, le « mood repair », concept que nous pourrions reprendre en algologie : le « pain repair ».Pourquoi un sujet va développer une douleur chronique là ou son semblable guérira ?

Faut-il traiter médicalement un deuil normal ? n'y a-t-il pas de tentations de médicaliser la vie ?

Un deuil peut être normal mais prolongé. Il peut évoluer vers une certaine chronicité avec une culpabilité accentuée. Les survivants s'organisent autour d'une véritable statut du défunt, d'un mémorial, sans qu'on puisse parler de deuil pathologique, car il n'existe pas ici de symptômes psychiatriques. Il s'agit alors seulement d'une non cicatrisation du deuil qui en reste à la deuxième étape. Ce type de deuil est fréquent dans la fratrie d'enfants décédés comme si l'enfant survivant tentait, en s'identifiant à l'enfant mort, de récupérer l'attention parentale.

Pour certains cliniciens, il existe deux sortes de dépressions: les dépressions de contrainte ( surmenage, harcèlement, agression...) et les dépressions de perte. Le deuil pathologique est une dépression de perte. Le deuil est pathologique si des symptômes psychiatriques apparaissent chez les survivants qui ne présentaient pas avant le décès, de pathologie psychiatrique. Les symptômes peuvent être :
- Dépression
- Anorexie, boulimie et trouble des fonctions instinctuelles
- Troubles psychosomatiques
- Trouble psychotique
- Episode maniaque ou mixte
- Accident de conversion hystérique
- Psychopathie, addictions.

3.3   Religion et deuil :

Certains philosophes pensent, depuis FREUD, que le Temps est une anticipation du Deuil.

A titre d' exemple clinique, penchons nous sur le nouveau testament et plus précisément sur les sept dernières paroles de Jésus-christ, alors qu’il est crucifié, paroles relevées dans différents évangiles:
1  Père pardonne leurs car ils ne savent pas ce qu’ils font (dénégation et projection)
2  Mon Dieu mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné? (Mathieu 27-46) Le fameux Eloi Eloi, lema sabaqthani (colère et révolte)
3  J’ai soif (Jean 19-28) (tristesse dépressive)
4  Tout est achevé (Jean 19-30) (tristesse dépressive et acceptation)
5  En vérité je te le dis aujourd’hui tu seras avec moi au paradis (Luc 23-43)
6  Femme voici ton fils, et toi voici ta mère (Jean 19-26)
7  Père je remets mon esprit entre tes mains (Luc 23-46) (apaisement)
Les dernières paroles du Christ montrent une progression étonnante d'un travail de deuil typique. Bien sur, ceci est un exercice de style car la réalité et la temporalité de ces phrases sont sujettes à caution. Ce travail de deuil est celui d'un être humain; alors Jésus était un homme ou un Dieu? Nous laisserons la réponse aux théologiens.

Continuons avec les religions orientales:
L’idée de la douleur comme expiation de la faute se rencontre aussi dans l’hindouisme et sa Réforme, le bouddhisme. La douleur est plus que le rappel d’une faute originelle abstraite, elle est une juste rétribution des fautes commises dans les vies antérieures. Par la loi du karma, la somme des souffrances ou des joies est exactement proportionnelle aux actions bonnes et mauvaises accomplies dans d’autres vies. Toutes souffrance est méritée même si on a perdu le souvenir de la faute dont elle est la rétribution.

Les fondements du bouddhisme sont contenus dans l’enseignement du prince Siddhârta Gautama (566-486 avant JC) et de ses quatre vérités:
1- Toute existence est douloureuse
2- L’origine de la douleur est le désir
3- L’abolition du désir met fin à la souffrance
4- La voie de la délivrance consiste à suivre les règles de moralité, de méditation, de sagesse et de connaissance.

Conclusion :
Avec Jean De La Fontaine: « la douleur est toujours moins forte que la plainte », et j'ajouterais une autre nuance: la plainte n’est pas la demande.

Bibliographie :

1- DEBRU A. –Le corps respirant : la pensée physiologique chez Galien. E.J.Brill, Leiden , New York, 1996.

2- HALIOUA B. –Histoire de la médecine, Masson, Paris, 2002.

3- LORIN F. – La douleur des origines à nos jours. In : La dimension de la souffrance chez le malade douloureux chronique.29-31, Masson, Paris, 1995.

4- BOURDALLE-BADIE C. –Comment la douleur a structuré l’histoire de la médecine ? In : Douleurs, sociétés, personnes et expressio.11-21, Eshel, 1992.

5- REY R. – Histoire de la douleur. La découverte, Paris, 1993.

6- PACHERIE Elisabeth –la douleur a-t-elle un sens ? In : Cerveau et psycho.pp50-51 n°4 Paris


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