Dr Fabrice LORIN : PSYCHIATRIE ET RUSE
Mots croisés: « veille au grain », en 3 lettres: psy
La folie accompagne l’espèce humaine comme son ombre. Après le sorcier le chaman et le prêtre, le psychiatre est actuellement à l’interface, entre l’ombre et la lumière. Est-il rusé ? Ruse-t-il avec les fous pour les ramener à la réalité ? Ruse-t-il avec la réalité pour la plier à la folie ?
I Le psychiatre est il rusé ?
Contrairement aux idées reçues et aux croyances de l’opinion publique, le psychiatre n’est pas naturellement rusé. Les psychologues et les psychanalystes le pensent dans leur for intérieur: le psychiatre n’est ni rusé ni intelligent au fond. Il n’a pas l’art de la nuance, et il apparaît rustique à bien des égards. Il reste à la surface des choses, simple observateur superficiel, froid et clinique, sans mise en perspective profonde. Il n’a pas accès à la 3 D.
Même la rumeur sur Internet est moqueuse. Voyons quelques définitions recensées sur le web :
« Psychiatre : un type qui vous pose un tas de questions dispendieuses, que votre femme vous pose pour rien ».
« Psychiatre : Homme intelligent qui aide les gens à devenir cinglés »
« Le chirurgien fait tout, mais ne sait rien ; le médecin sait tout, mais ne fait rien ; le psychiatre ne sait rien et ne fait rien ; et le médecin légiste sait tout, mais il est trop tard ».
Le psychiatre est tout juste capable de :
1 Poser une étiquette rapide et succincte sur un malade désigné ; cette étiquette est pompeusement dénommée diagnostic. Sans vouloir offenser les indiens Jivaro, les psychiatres sont de sérieux concurrents comme réducteur de têtes.
2 Ordonner et signer le certificat d'internement en HDT ou en placement d’office.
3 Réceptionner le patient avec 2 infirmiers adeptes des salles de musculation et du bar-tabac du coin à l’heure de l’apéro.
4 Prescrire à l’arrivée un traitement injectable pour stopper toute activité neuronale cérébrale centrale et périphérique.
Autrefois, avant les années 50, nos pairs utilisaient la camisole de force. Maintenant la contention est chimique : la ruse est modeste. Nous savions verser de l’haldol dans le verre ou dans la soupe, parce qu’il n’a ni odeur ni goût ni saveur. Il est insipide. Mais la justice a mis son nez -si j’ose dire- dans l’affaire et oblige dorénavant l’industrie pharmaceutique à donner un réel goût au médicament. Exit la petite ruse des psychiatres. Pour l'anecdote, l'usage de produits sans odeur sans couleur sans saveur, est maintenant l'apanage des services secrets. Citons le thallium, poison de la mort-aux-rats,ou le polonium 210 très employés par les services secrets d'Europe orientale...
Exemple de (pitoyable) tentative de ruse :
Dans une île tropicale lointaine mais néanmoins française, les infirmières appellent en urgence l’interne de garde. Un patient s’est échappé de son pavillon et s’est retranché dans une cabane à outils. Il est délirant, très halluciné, probablement armé d’une pioche et clame qu’il n’obéira qu’à son capitaine. Il était autrefois marin. L’interne négocie quelque temps puis s’impatiente et annonce soudainement que le vrai capitaine du vaisseau hôpital, c’est lui l’interne et que le malade doit lui obéir et bien sur se rendre.Immédiatement. Ca ne se discute plus! Patatras. Ruse grossière de psychiatre débutant. Il a lu les théories du renforcement du symptôme et l’utilisation du message paradoxal de l’Ecole de Palo-Alto, enfin les oeuvres complètes de Paul Watzlavick. Mais cela ne marche pas du tout et l’affaire se termine par un assaut général, à l'ancienne.
Parfois le psychiatre fait apparaître la fée électricité. Dans un nuage de fines étoiles, la baguette magique déclenche l’électro-convulsivo-thérapie ou ECT ou encore sismothérapie. En langage décodé, les électrochocs.
La suite des moyens thérapeutiques n’est guère plus brillante : le lavage de cerveau et la cure de sommeil, ils n’ont décidément rien de rusé.
Bon la cause est entendue, le psychiatre n’est pas rusé. Mais pourquoi le psychiatre n’est-il pas rusé ? Bonne question, je vous remercie de l’avoir posé.
Tout d’abord, il faut considérer le mode de recrutement. Il faut savoir qu’une filière d’excellence n’est pas synonyme de ruse. Le jeune psychiatre est d’abord une bête à concours. Il doit en passer 2, le concours de la première année de médecine puis le concours de l’internat. Or, concourir ne développe pas la compétence à la ruse mais plus certainement le bachotage et le bourrage de crâne. Si je veux apparaitre scientifique ( ?), la fonction cérébrale « ruse » se localise probablement dans les régions préfrontales du cerveau : le lieu de la créativité, de l’anticipation et du calcul. La mémoire, nécessaire aux concours médicaux, est surtout dans les régions hippocampiques. Vraiment rien à voir. Dans Cyrano de Bergerac, hippocampelephantocamelos est l'animal mythique aux hippocampes surdimensionnés. L'affaire se précise, Inspecteur.
Puis à la faculté de médecine, nous n’apprenons pas la rusologie, science de la ruse. Au contraire elle est vilipendée, car compagne de l’arnaque, de l’escroquerie et du commerce. Je rappelle que la médecine n’est pas un commerce mais un Art ! Le serment d’Hippocrate est clair : JE PROMETS ET JE JURE AU NOM DE L'ETRE SUPREME, D 'ETRE FIDELE AUX LOIS DE L’HONNEUR ET DE LA PROBITE DANS L'EXERCICE DE LA MEDECINE. JE DONNERAI MES SOINS GRATUITS A L’INDIGENT, ET N'EXIGERAI JAMAIS UN SALAIRE A AU DESSUS DE MON TRAVAIL.
Pour cette incise, j’ai souhaité rencontrer le président de l’Ordre des médecins, et je lui ai exposé au téléphone le sujet de ma requête en généralisant mon sujet à « Ruse et médecine ». Il a refusé toute rencontre, car parler de ruse en médecine est honteux, une faute morale et un égarement déontologique. Pourtant nous savons que beaucoup de médecins rusent depuis la taille de la plaque, en passant par les titres et diplômes inventés, les pratiques parfois plus en rapport avec la magie qu’avec la médecine.
Un psychiatre n’est donc pas naturellement rusé. Mais il peut éventuellement le devenir grâce à ses patients (surtout ses patientes). Essayons de théoriser tout cela et élevons nous vers la réflexion spirituelle à l’étage au-dessus, vers le « méta ». En fait, il n’y a que 2 manières d’obliger quelqu’un à faire quelque chose qu’il n’a pas envie de faire. Soit par l’autorité et le pouvoir, soit par la manipulation (la persuasion en est une variante). Les psychiatres sont des médecins, héritiers du système patriarcal et du Droit Romain, ils n’ont appris que l’autorité et le pouvoir médical. Ils l’ont observé à l’œuvre durant toutes leurs études auprès des Universitaires et chefs de service. Les psychologues sont les héritiers du Droit anglo-saxon, du compromis, du contrat et de la négociation. Les stratégies et les conséquences deviennent plus limpides.
II Le patient rusé :
1-Le patient ruse avec son entourage :
Depuis la victoire de David contre Goliath, et même avant, la ruse est une pratique quotidienne chez l’être humain. Une étude récente affirme que nous mentons environ 200 fois par jour. La première remarque serait de dire que « décidément l’homme n’est pas fiable, un loup pour l’homme dans la jungle de la vie etc. » Les auteurs avancent l’idée que mentir c’est éviter le meurtre et la guerre. Si nous disions à tout instant la vérité, l’effet serait catastrophique sur les relations interpersonnelles. Il y a donc dans le mensonge un souci de pacification et d’harmonie. Ainsi le message trop communément admis qui consiste à conforter nos patients dans le « tout dire » à l’entourage, à lever les lièvres et les hypothèques, se soulager en lâchant le morceau, promulguer la mise à plat et les pieds dans le plat, nouvelles variantes de la transparence et du non-dit enfin exprimés, toute cette verbalisation cathartique peut avoir des effets délétères certains. Le rusé distillera sa vindicte à dose filée et parcimonieuse, « Tout vient à point à qui sait attendre ».
Voici quelques exemples de stratégies de base, très fréquemment employées :
Les moyens de la ruse : les 10 commandements de la psychorusologie
1 Fuite simple pour éviter de faire la vaisselle ou plus rusée, l’hyperactivité prétexte « Désolé, je n’ai pas le temps, je suis surbooké »
2 Fausse soumission, acquiescement et bêtise feinte : « Je n’ai pas ton intelligence, moi je dois travailler dur».
3 Se surestimer pour briser les concurrents : « Non je ne vais pas bachoter les concours toute la nuit, je sors en boite ce soir ! »
4 Aboiement et colères feintes
5 Supplice et strangulation
6 Surprise et autres inattendus : stratégie de l’embuscade
7 Séduction douce
8 Politesse, courtoisie, flatterie : « Tout flatteur vit aux dépends de celui qui l’écoute »
9 Enveloppement et vampirisme : Circé et Ulysse
10 Minimiser l’offre ou la demande, technique du pied dans la porte : Cheval de Troie
2-Le patient ruse avec le système médical :
Face au rusé, le psychiatre est en premier lieu désemparé. Alors il classifie.Le médecin apprend d’abord à classifier. Voyons la cotation de ceux qui veulent ruser avec la médecine.
Le rusé sera F 68.1 dans la classification CIM 10 :
« Production intentionnelle ou simulation de symptômes.Troubles factices »
Mais alors ruser dans quel but ? :
1 L’arrêt de travail
Simple temps de repos, vacances prolongées aux frais de la CPAM, prises en charge par l’assurance du crédit de la maison etc.
2 L’invalidité : ses avantages discrets
Le statut de travailleur handicapé COTOREP : la règle des 6%, la baisse des charges, les primes pour l’employeur.
La prise en charge des crédits, la redevance TV, la taxe d’habitation, la priorité dans les parkings et transports en communs
Une aide indispensable pour se guider dans le maquis : la FNATH
3 La demande de certificats médicaux dans le cadre de procédures en justice, divorce, garde d’enfants, responsabilité civile, harcèlement moral. Saluons les ruses des avocats, le plus souvent à l’origine de ces demandes.
Ruser selon sa structure psychique :
Regardons le spectacle de la politique, superbe terrain de sport des plus rusés.
-L’hystérique va ruser avec son corps, son charme, sa séduction ou son imprévisibilité.
-L’obsessionnel va ruser avec sa pensée, calculatrice et planificatrice, méthodique et obstinée.
-Le phobique va ruser pour éviter de parler en public, d’être dans un ascenseur, de traverser la place de la comédie...
-L’anxieux ou le dépressif vont ruser en dramatisant les affects : « tu sais Robert que je vais être stressée pendant que tu seras au parapente et au saut à l’élastique », « Si tu m’abandonnes, je me suicide »
-Le narcissique narcissise, ruse classique pour maintenir son ascendant sur autrui. Ainsi le Président de Région Septimanie a proclamé qu’il a « vaincu la mort » ! L’humilité n’est pas flagrante mais c’est une ruse de chef...
-Le schizophrène ne ruse pas sauf pour éviter d’avaler ses médicaments.
-Le rusé est-il pervers ? Mitterrand : « Vous ne soupçonnez pas ma capacité à l’indifférence ».
-Le pervers est-il toujours rusé ? oui et non. Il est classique de dire que les exhibitionnistes ne sont jamais rusé, ils se font attrapé et jugé, quant les voyeurs restent discrets d’autant que Internet prolonge l’anonymat du regard.
III L’argent est il la ruse ?
L’argent pourrait offrir une sortie honorable à ce psychiatre non rusé :
« Le névrosé construit des châteaux en Espagne, le psychotique y habite, le psychiatre perçoit le loyer ».
Le psychiatre est il riche ?
Mon psychiatre, pour quinze mille francs, il m'a débarrassé de ce que j'avais : quinze mille francs.Coluche
C’est une légende : les psychiatres ont avec les pédiatres les plus bas revenus de toute la médecine.
Pour gagner ses modestes euro, le psy est obligé de ruser un peu. Il emprunte à d’autres -plus malins que lui- une posture. Par exemple certains collègues psychanalystes adoptent la posture du penseur méditatif et sage. Nous savons que toute posture est une imposture. D’ailleurs une patiente me disait un jour : « Avec vous je ne sais jamais si vous êtes concentré, concerné ou consterné par ce que je vous dis ».
En réalité les vrais profits ne vont pas dans la poche des psychiatres. Les loyers sont rétrocédés à l’industrie pharmaceutique.
IV Ruse et industrie pharmaceutique:
-Ruse pour fabriquer de nouvelles « maladies » à partir du mode d’action d’un produit. Exemple la dépression sérotoninergique, ou la dysfonction sexuelle féminine afin de créer pour les femmes le même marché rémunérateur que celui du Viagra pour les hommes.
Ces nouvelles maladies artificielles sont appelées Disease Mongering .
-Ruse pour expérimenter sur l’homme en phase I et II dans les ex-pays de l’Est ou en Afrique où les législations des essais sont plus souples.
-Ruse pour expérimenter dans les grands services universitaires occidentaux pour les essais en phase III et obtenir l’AMM. La rémunération est alors très généreuse pour les mandarins.
-Ruse pour toucher les médecins de ville prescripteurs : invitations à des voyages, colloques, concerts, matchs sportifs, thalasso, restaurants etc.
-Pseudo études cliniques dites de phase IV bien rémunérées, cadeaux…Selon la pyramide des besoins de Maslow : si vous êtes au stade 4 c’est-à-dire dans un « besoin d’estime », vous serez invité dans des congrès, au restaurant et vous recevrez de menus cadeaux personnalisés. Si vous êtes au stade 5, dit du « besoin de s’accomplir », vous êtes dégagé d’une condition purement matérielle, vous êtes au sommet de l’aspiration humaine, vous voulez vous épanouir et faire le Bien de l’humanité. De grands médecins en sont là fort heureusement et l’approche marketing d’un laboratoire se fera par le chemin de la Fondation ou du don pour une mission.
Les ruses des laboratoires s’appellent marketing, il faudrait être stupide pour les ignorer ou les mépriser. C’est le cœur du système capitaliste et de ses excès, bien loin de la médecine, dans les profondeurs du business. Cependant, une moralisation est en cours aux USA, puisque dorénavant un médecin publiant un article ou communication sur un médicament doit décliner l’historique de son partenariat financier avec le laboratoire.
Je conclurai par une phrase de Michel AUDIARD, hommage à la folie des hommes :
Heureux les fêlés car ils laissent passer la lumière
|