Dr Pierre Decourt : SENAT : « LA PSYCHIATRIE : UN MIROIR DE NOTRE EPOQUE. »
LE
SENAT
9
octobre 2006
« LA
PSYCHIATRIE : UN MIROIR DE NOTRE EPOQUE. »
PIERRE
DECOURT
Membre
de la Société Psychanalytique de Paris
Chargé
de cours à l’Université René Descartes. Paris-V
La conception erronée de la science se révèle dans lasoif
d'exactitude : Karl Popper
Un double
défi !
ARGUMENT
Perpétuellement en crise,
déchirée par des courants divers qui on fait sa richesse, sa fécondité, la
psychiatrie subit aujourd ‘hui un ébranlement sans précèdent. La crise actuelle
est- elle en rapport avec de tensions internes, face à l’énigme de la folie, ou
l’expression des rapports difficiles qu ‘elle entretient avec le politique qui
semble méconnaître la spécificité de la discipline et ses besoins ?
A l’origine de ces tensions.
1°Comment résoudre
l’énigme de la maladie mentale sous toutes ses formes avec les exigences d’une
société plus intolérante, ne supportant plus l’aléatoire et qui appelle à
obtenir des réponses claires, parfois définitives en demandant des résultats si
possible quantifiables ?
Plus encore,
Aujourd’hui :
2° " Une méthode thérapeutique, faute d'être
attestée par des preuves concluantes[1] peut bel et bien être
considérée comme dénuée de toute valeur substantielle"et accusée de ce
fait de charlatanisme
Trois questions ;
Quelles
réponses les psychiatres peuvent ils suggérer face à ce double défi ?
Comment
transmettre à une société qui demande des comptes, la complexité de ce qui
spécifie la pathologie mentale sans un réductionnisme démagogique et trompeur.
Quelles
preuves avancer pour illustrer la spécificité de la discipline ?
les preuves ne peuvent être
que cliniques !
En voici une illustration à
partir d’une « fiction clinique plus vrai que nature ». Fiction qui
j’espère va alimenter les questions ultérieurement.
Edmond est un jeune élève du conservatoire.
Il consulte pour un grave état dépressif. Violoniste plutôt doué, il découvrit
sa passion dés son jeune âge baigné par l'atmosphère musicale que sa grand-
mère maternelle avait fait naître et su entretenir grâce à son goût pour le
chant. Sorti dans un bon rang du conservatoire, les difficultés commencèrent
vraiment pour Edmond ; sa passion ne lui permettait pas de subvenir à ces
besoins malgré l'aide de sa famille. La confrontation avec les exigences de la
vie, que sa volonté d'indépendance induisait, l'obligea à renoncer à la
perspective de faire une carrière artistique .IL se retrouva au Mac do du coin;
à lire les partitions griffonnées des commandes des clients pressés. Quelques
mois après cette conversion, de violentes douleurs abdominales
apparurent progressivement, les dimanches, rythmées par la perspective du
retour à son poste le lundi à 7heures.Les interventions médicales répétées
s'avérèrent peu efficientes, et les examens dits complémentaires sans
particularité, n'apportèrent aucun complément!.
Comment traiter le symptôme digestif sans
prendre en considération la dynamique invisible sous jacente, que l'on
entrevoit et qui nécessite un changement de paradigme, pour en comprendre la
fonctionnalité. Il convient d’introduire la subjectivité et l’histoire d
‘Edmond ; c'est à dire la dimension diachronique; la souffrance psychique de
l’artiste indique quel que chose de profondément personnel le submerge, et
apparaît dans les dédales d'une symptomatologie banale;
Prêtons lui ce propos ;
« Je suis un artiste qui souffre de ne
pouvoir vivre de ma passion, et je dis cette souffrance à mon insu par un
détour inchiffrable au regard d’une approche rationnelle, médicale ! ».
Ainsi cette souffrance ne prend sens qu'à la
lumière de son interprétation.
Le symptôme indique au moins deux choses;
- La souffrance du corps dévoile l'émergence
d'une passion refoulée qui donne sens au symptôme;
- Elle objective par son appel, la réalité
d'un conflit psychique expression de son destin détourné.
On voit ici que la seule prise en
compte du symptôme selon une logique causaliste, médicale en l’occurrence
conduit à une impasse.
En isolant le symptôme d'un
contexte fantasmatique particulier propre à l'histoire d'Edmond, nous nous
priverions d'une compréhension générale de sa souffrance et la possibilité de
fournir une réponse appropriée.
Cet exemple illustre la
nécessaire pluralité des approches thérapeutiques qui s’imposent face
à un symptôme qui résiste au traitement :
Les explorations médicales sont nécessaires
pour éliminer toute cause médicale,
Mais leurs limites doivent
permettre d’envisager une autre lecture de la souffrance d’Edmond. Cette autre
lecture s’appuiera sur l’intuition[2] du thérapeute, sa
subjectivité. Elle constitue l’outil sensible qui forge sa conviction
diagnostique pour donner sens au symptôme.
Cette complémentarité des
approches médico-psychologiques est une exigence dont la plus part des acteurs
d’établissements psychiatriques privés ou publiques ont pris conscience
depuis longtemps déjà. Mais ils sont de moins en moins entendus ! Pourtant
bien des équipes au sein de ces instituions sont composées de médecins, psychologues,
psychanalystes, ayant des compétences tant dans le champ somatique que psychopathologique.
Cette double approche indispensable reflète, illustre la complexité du
fonctionnement de l’être humain et sa richesse.
Comment
transmettre cette complémentarité des approches ?
L’illusion de la transparence ; une réponse erronée
A l’heure de la transparence
obligée, on mesure la difficulté et la nécessité à la fois de transmettre cette
complexité : complexité que les marchants d’illusion ayant réponse à tout,
évacuent allègrement, faisant fi de l’effort explicatif qui s’impose et qui est
requis non seulement par la société mais aussi bien légitimement par les
familles et les patients eux-mêmes.
Transmettre ses propres
incertitudes et ses convictions est l’épreuve la plus délicate qui soit pour un
psychiatre ?
Mais c’est le prix à payer pour qu’une
relation s’institue sur un fonds de vérité et d’authenticité, ce qui peut être
parfois douloureux pour les protagonistes. Hélas ce n’est pas toujours ainsi
que cela se pratique aujourd’hui.
En assenant aux patients et aux familles
un diagnostic dont la violence de l ‘énoncé brise toute possibilité de penser
et d’échange, « vous êtes schizophrène », se bloque le tissage d’une
relation de confiance et créative. Les effets seront même contraires. Le sujet malade
redevient cet objet d’observation et d’étude ramené au rang de chose totalement
amputée de sa spécificité, déshumanisée.
[1] Donnez moi la preuve de la validité de votre pratique
ou de vos hypothèses alors que "la preuve est improuvable" !La
pratique se fonde sur une conviction partagée qui engagent la subjectivité des
acteurs. Cette petite perversion de la pensée en raison de son fondement
paradoxal cherche à satisfaire des exigences contradictoires
scientifiques, juridiques,
thérapeutiques qui sont fondées sur des principes différents et selon des
finalités qui peuvent opposées .Petite perversion de la pensée qui procède ainsi d'une superposition des
objectifs, d'un amalgame réducteur. La demande d'évaluation est une injonction
qui se caractérise par le coté aporétique de l'exigence et n’appelle que des réponses insatisfaisantes au regard
de l'autorité, au regard de la science, et de la praxis. Elle est trompeuse,
réductrice du point de vue de la complexité du fonctionnement mental. De ce
fait, elle participe et entretien la confusion entre etiopathogenie centrée sur
l'étude de l'apparition des troubles selon une temporalité complexe (après
coup)et la psychogenèse, régulée par une temporalité linéaire, autorisant une
articulation directe entre un événement et sa manifestation.
[2] [2] "Une
croyance selon Heidegger qui va au delà des choses perçues" ;
Heidegger in Questions 2, commentaire de Platon ; la caverne)
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