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Graphosphère : Dr Pierre Decourt
Dr Pierre Decourt : LA SEPARATION D' AVEC SOI-MEME


Le concept de séparation a ceci d’intéressant en raison des questions complexes qu' il soulève tant dans le champ de la clinique, du fait du polymorphisme de l'expression de la souffrance psychique qui s'y rattache , que dans le champ de la théorie, puisqu'il convoque entre autre la difficile question du traumatisme[1], manière hasardeuse d'introduire le principe de causalité dans la vie psychique.

 On sait que l'expérience de la séparation confronte le sujet à un certain de degré de souffrance psychique. Pourtant l' élaboration de la séparation et de ses effets contribue au mouvement général de subjectivation, conduisant l'enfant vers la conquête d' un premier degré de maturation. La séparation, et ce n'est pas un des moindres paradoxes, a donc une vertu organisatrice irremplaçable.

Notre propos en se dégageant de cet aspect central des conséquences nourricières de la séparation se centrera essentiellement sur les conséquences de la séparation du point de vue psychique. Aussi nous envisagerons ainsi les effets 

tant du point de vue psychopathologique que du point de vue des modalités d'élaboration de celles ci .

Au-delà de la problématique de la perte et du deuil qui révèlent la nature et les particularités du lien et de l'attachement à l' objet, du fait même de son absence, ainsi que Roussillon l'a montré, la séparation nous confronte, parfois à distance de l 'événement aux limites des ressources psychiques face au potentiel désorganisateur et traumatique qu ‘elle comporte à des degrés divers. Par les mouvementspsychiques qu 'elle mobilise, elle nous renseigne sur la structure psychique sous-jacente du sujet. Même si  toute séparation à des modalités d'expression  infinies, les outils à la disposition du moi pour faire face à ses conséquences ne sont pas innombrables. Ils sont limités et on les observera aussi bien dans les grands syndromes mélancoliques que dans des expériences plus proches de ce que chacun peut vivre dans son quotidien, dans son intimité. Comme Freud ne cessa de le proposer, nous considérerons qu' il n' existe pas de différence nette entre les processus défensifs et réparateurs observés dans les grandes dépressions et ceux que l'on côtoie dans les blessures de la vie affective quotidienne évoqués par les analysants.

Si notre intérêt aujourd'hui se concentre sur ce thème c'est qu' il n'est pas de cure analytique ou la question de la séparation ne se trouve posée des deux cotés, à un moment ou à un autre, pas seulement dans ce moment singulier  qu' est  la fin de la rencontre.

Nous examinerons dans cette courte contribution les conséquences de la séparation lorsque plus particulièrement elles sont porteuses d'un potentiel traumatique plus ou moins désorganisateur pour le moi.

Le champ d'observation singulier qu'est la situation psychanalytique offre la possibilité  de voir naître des interrogations portant sur les aptitudes d'un sujet à intégrer dans son histoire, l’événement traumatique stigmatisé par la séparation. Cette aptitude révélera les capacités de sa pensée à faire face aux exigences du travail de deuil et montrera parfois les limites de ces capacités à le surmonter. Il est intéressant aussi d' essayer d'en repérer les effets sur le fonctionnement de l'analyste lui même. C’est a ces limites que nous intéresserons, à la manière et aux conditions dans lesquelles le sujet dans la cure, va pouvoir intégrer cette expérience dans sa dimension traumatique lorsqu 'elle resurgit, bruyamment ou à l'opposé par un silence assourdissant et désorganisateur .

Deux  hypothèses se présentent sous forme de question .

 - Peut il y avoir une  réconciliation  possible entre le sujet et la partie traumatique de son histoire à laquelle il n' a pu accès. En raison du poids destructeur qu 'elle contient,  celle ci n'est pas oubliée, mais est, de facto, non inscrite dans un passé qui lui échappe alors ? On pourrait dire qu'elle se situe ne dehors de lui-même.

  -Peut- on, avec la résurgence d'un passé enfoui, et son retour au sein de la cure, concevoir la réversibilité des conséquences psychologiques du trauma?

 La rencontre analytique dans ces configurations, s’oriente de façon assez spécifique non pas tant vers l’avènement et la découverte d’un sens caché que vers une perspective d' inscription du matériel dans une histoire plus ou moins refoulée, qui n'a pu s'organiser selon le modèle de la névrose infantile. Celle ci dans les conditions que l'on pourrait qualifier de normale, se structure autour, et, avec  l'émergence de la sexualité infantile sous l'influence de la poussée constante de la pulsion et de l'investissement des idéaux parentaux. Son aboutissement conduira le sujet à prendre une part déterminante dans le scénario œdipien.

Dans les expériences traumatiques, la séparation a des conséquences qui débordent les capacité du moi à faire face à l'événement, et l'empêche de s' organiser, dans son rapport avec l'objet, selon le modèle de la névrose infantile. Paradoxalement on pourrait dire que le sujet en vient parfois pour survivre, à se séparer de lui même, il se dépersonnalise, s'extrait de ses propres contours, de sa propre histoire. Il peut alors traverser regressivemnt des situations schizo-paranoïdes irréversibles au cours desquelles hallucinatoirement reviendront du réel des éléments de son passé " abolis du dedans" .

On se souviendra de ce film adapté du roman de Styron," Sophie 's choise" ou Meryl Strip, héroïne pathétique, est confrontée à l'impossible choix; décider qui doit survivre, son fils ou sa fille; lequel des deux sacrifier sous la pression perverse d'une ultime barbarie. La mère sombrera dans un état de détresse psychique témoignant face à l'impossible, de son incapacité à surmonter l'événement traumatique. Se " séparer" d'elle même, c'est à dire perdre son identité, en sombrant dans la déchéance et la folie jusqu' à la destruction, constitue le seul recours possible pour faire face à l'indicible.

Comment imaginer dans une perspective  thérapeutique la réconciliation du passé traumatique avec le présent transférentiel, autrement dit comment renouer en situation, les fils apparemment rompus du présent avec un passé que l’on pourrait croire à jamais aboli [2].Si ce temps de liaison est concevable, il faut pour cela nous confronter à deux paradoxes.

Le premier concernela nature del’ expérience traumatique souvent précoce dont le souvenir n’a pu se construire. Or, même s'il n'a pu se construire dans une temporalité définie, les traces de l’expérience sont à la fois présentes, et inaccessibles  ;" l’expérience traumatique nourrit un inoubliable dont on ne peut se souvenir" [3] .Comment renouer avec cet " oublié inoubliable" , le rendre représentable, car ce passé n’émerge pas alors sous  forme de représentation. Il émerge plutot bruyamment sous la forme d’acte, ou d'émotion, souvent les deux simultanément. L’acte se substitue alors au souvenir; il en tient lieu! Le sujet ne reproduit pas un fait oublié sous forme de souvenir, de rêve,  mais sous la forme d’action. Il répète sans savoir qu’il répète[4] des conduites parfois erratiques qui indiquent à leur manière la présence d' un événement du passé. Le débordement émotionnel, sensoriel, déconnecté de  toute représentation peut constituer un indicateur sensible. En effet, onaffirmer que face l'agir ou à l'envahissement sensoriel et en l' absence de tout embryon de représentation ou du moindre souvenir, nous sommes en présence d’un noyau traumatique enkysté ou cryptique , comme on voudra. L'impact contre transférentiel de l' émergence de ce noyau traumatique est singulier, souvent anéantissant pour la pensée de l'analyste. Il constitue lui aussi un indicateur irremplaçable.

La trace de l'expérience traumatique serait à chercher derrière tout acte insolite, considéré dans la cure comme un acting, (c'est à dire non rattachable à une chaîne associative) ou derrière l'explosion parfois violente d' affects, sans que ceux ci puissent s' articuler à une chaîne représentative dont le contenu serait à saisir.

Le deuxième paradoxe, déjà signalé, découle du premier. C' est une absence, dont la mémoire ne porte aucune trace, car atteinte dans sa fonctionnalité, qui authentifie la présence  du traumatisme. Une absence qui signe une présence!

Le célèbre exemple de ce Robinson qui découvre sur son île déserte la présence de l'empreinte d'un pied, en viendra pour calmer son angoisse, à imaginer dans la plus grande des perplexités qu 'il s'agit en fait de sa propre trace, convaincu qu 'il a oublié le parcours emprunté le matin même ( on observera la fonction de l'oubli comme procédure singulière afin de faire face à l'énigme) jusqu'à l'instant ou revenant sur ses pas, il observera avec effroi que celle ci à disparue. N' est ce pas là l'indication la plus formelle que cet effacement de la trace, objective une présence invisible. Pour Donnet[5], cité par Green " l’existence postulée d’une trace fait s’interroger non seulement sur l’effacement de la trace, mais aussi sur la trace de l’effacement" .

Mémoire et identité

 

Pour en évaluer les conséquences psychologiques,  de l'effacement, de l'altération de la fonctionnalité de la mémoire, il faut se souvenir des rapports entre mémoire et identité.

IL existe une équation fondamentale entre identité et mémoire. L’amputation d’une partie du passé affecte lourdement le rapport du sujet à lui même et à autrui  ;Ne pas se souvenir des choses c’est perdre une partie de soi  !

Ricoeur[6] illustre ce point de vue lorsqu'il suggère qu' ense souvenant de quelque chose de son passé, de son histoire, on se souvient de soi. La mémoire a quelque chose d’intime. L’altération de la fonctionnalité de celle-ci telle qu’elle s’observe dans ces configurations cliniques ou domine le poids traumatique d'une expérience donnée, témoigne d' une désorganisation du sentiment de continuité psychique. Ce sentiment singulier de continuité psychique nous garanti cette faculté de nous " appartenir" , de nous reconnaître malgré les transformations, pas seulement celles dues à l'écoulement du temps.

La clinique des états frontaliers comme on les appellent aujourd'hui, ou limites atteste de ces organisations psychiques fragiles incertaines et hétérogènes, caractérisées par le bouleversement de l’ensemble de leur être évoluant sans  fondements identitaires stables au gré des circonstances et des rencontres ; ils sont sans passé et souvent hélas sans avenir bien défini.

 Or, chez ces êtres c'est la mémoire elle-même qui est "   amputée" . La mémoire n’est porteuse en rien de l’expérience traumatique passée[7]. Ce n’est pas nécessairement du coté de la recherche d’un souvenir enfoui qu’ il faut chercher. Nous ne sommes plus en la circonstance soumis aux forces du refoulement. Le processus incriminé est autre! Le souvenir est à construire à partir de son absence, à partir d'une absence dont on peut postuler la trace perdue. «  je n’arrive plus a me regarder même en fermant les yeux  » dira ce patient pour témoigner de l'effacement de la représentation de ses propres contours, «  je vais tellement mal, dira cet autre, que je ne peux même plus  me parler  », indiquant s'il le fallait, combien les processus de symbolisation s'étaient avachis.

 

Présence de l'analyste

Poser la question de la construction de l'absence du souvenir traumatique telle que la séparation peut en attester, nous entraîne à examiner en aval les conséquences  au cœur de la relation à l’analyste. Celle ci, varie selon la nature même de l'oubli dont il faut signaler l'equivocité. Le lien transférentiel n'a pas la même coloration selon que  l'absence, signale pour autant la présence de l’objet, dont le refoulement a momentanément rendu absent sa représentation. On différenciera avec Ricoeur  l’oubli fondateur, c'est à dire l’oubli de la perte dont la trace perceptive inconsciente, mnésique est bien présente. Elle met en mouvement des procédés élaborés pour symboliser la représentation de l' objet absent, mais toujours investi. La voie de l'hallucination constitue un moyen autocratique précoce dont l'enfant use pour " supporter " un temps, l'absence de l'objet désiré.

Rien à voir avec l'oubli destructeur qui altère l'identité même du sujet dont il était question et  qui poursuit son œuvre d’érosion du sentiment de continuité psychique. Les particularités de ce dernier auront des conséquences assez spécifiques  sur la nature de la relation analytique.

Si, jusqu' à ce point, nous avons parlé de relation analytique et non de transfert [8]c'est que ce concept central, moteur du déroulement de la cure soulève ici des interrogations auxquelles il faut nous soumettre.Peut-on parler de transfert  ? Est ce bien légitime eu égard aux développements freudiens  qui n'ont d'ailleurs cessé d'évoluer? Epinglé initialement comme " immense inconvénient méthodologique" , il deviendra avec l'expérience l'outil même du changement. Fondé sur l’établissement artificiel d'une relation unique, il s' organise selon une processualité repérable, dont la forme aboutie est la névrose de transfert. Elle nait de l'actualisation des conflits dont la  répétition constitue la  réédition d’un passé refoulé, réactivé à l'insu du sujet par l'investissement inconscient de l'analyste dont il devient le révélateur.

Dans les situations cliniques marquées par une altération identitaire, elle même liée à des expériences traumatiques de l'enfance et dont la séparation n'est qu'une des modalités, on considérera que la relation est singulière et ne s' apparente en rien avec le modèle de la névrose de transfert. Les procédés de communication entre les deux acteurs régulés par les outils de la symbolisation sont l'objet d'un profond dysfonctionnement.

 Le déroulement de la cure est ici marqué par la  dérégulation du couple association libre, écoute flottante pour reprendre l'heureuse expression de Roussillon. L'association libre définie préalablement comme l'outil proposé au sujet pour explorer les couches les plus profondes de sa vie psychique, en complément de la posture de l'analyste dont l'écoute dite flottante, libérée de toute détermination perceptive afin de laisser effleurer le matériel dans sa complexité inconsciente, entretiennent ici des rapports de totale discontinuité. Face aux séquelles des expériences traumatiques on observera une véritable disjonction entre ces deux logiques complémentaires, artificiellement entrelacées au sein du dispositif analytique. Le déroulement associatif est troublé, l'attention flottante de l'analyste soumise aux puissances de la déliaison, concourent à rendre intelligible l’expérience vécue, l'a rendant du coup difficilement transmissible. Le propos souffre d' une altération de sa logique discursive, les  phénomènes de brouillage du sens, de double sens, d’altération syntaxique rendent la communication aléatoire. Le matériel pourtant est surabondant ou à l'inverse l'espace analytique est l'objet d' un envahissement silencieux.

L' importance des affects

 

Envahi par des effets hypnotiques, reliés par des phénomènes insolites d'identification projective, l' analyste éprouve de profondes modifications de ses capacités de penser. Certains y voient l'effet de l’appropriation de la problématique traumatique de son analysant, problématique qui serait perçue inconsciemment sans être représentée. Cette appropriation développe une sorte de  " flottement identitaire partagé," qui consacre les bases d'une expérience commune entre l'analyste et le sujet. Ce rapport hypnotique est une des formes de cette relation. Bloque t’ il la processualité de l’échange interpersonnel ou offre t’il de nouvelles possibilités de dialogue  ?

Avant d' examiner l' éventualité de ces nouvelles possibilités, il convient de repérer les particularités de cette relation au cœur même de l'activité de l'analyste. Sa propre vie psychique peut être soumise par le patient à une sorte de protestation silencieuse; fatigue, altération de sa vigilance, impression de défaite, de renoncement, doute,  face au poids du non sens, mis en tension de la motricité consacrent un certain degré de souffrance. Rien ne se répète mais quelque chose se passe ou plutôt se vit  sous l’effet d’ une pure projection- primaire. L’altération du système représentatif empêche la construction du souvenir. La séquence remémoration répétition élaboration est hors course. Ainsi, si la mémoire est le présent du passé, comme le suggère Saint Augustin dans ses confessions, le passé non intégré à l’histoire du sujet ne peut se presentifier, donc se répéter dans le transfert.

Parfois à l' insu de l'analyste les effets de cette relation si singulière se prolongent au sein de sa propre corporeité; Impressions cénesthésiques bizarres, besoin de bouger, de libérer par une micro motricité des tensions musculaires erratiques témoignent de l' envahissement de sa corporeité par un contenu hétérogène.

Du coté du patient, il y a évacuation, expulsion, sur le modèle de l’abcès incisé qui s’évacuerait avec son potentiel de contamination pour l’autre.  Il n’y a pas d’élaboration, mais drainage par la mise en jeu du pouvoir cathartique de l’action.

 Freud[9] avait saisi l’importance de la dimension cathartique de l’action. Il la compare aux effets de la perlaboration, à «  l’abré-action  » des charges affectives refoulées. Il suggère que l’un et l’autre ont la même vertu modificatrice en levant les résistances. Cette élaboration des résistances peut, pour l’analysé, constituer, dans la pratique, une tache ardue et être pour le psychanalyste une épreuve de patience. De toutes les parties du travail analytique, elle est pourtant celle qui exerce sur le patient la plus grande influence modificatrice, celle aussi qui différencie le travail analytique de tous les genres de traitements par suggestion. On peut la comparer du point de vue théorique à l’abréaction des charges affectives séquestrées par le refoulement et sans laquelle le traitement analytique demeurerait inopérant.

 

Il ne s’agit pas là à proprement parlé de résistances qui sous-tend l’idée d’un conflit, mais de quelque chose qui bloque la construction de la pensée .

Pourtant la relation s'organise…

 

Si elle n’est pas une répétition transférentielle, elle est  une " reprise" au sens le plus trivial des conséquences d'un événement non symbolisé. Une reprise[10] comme réparation d'une effraction dans les trames du tissu symbolique. Comment se crée telle, sur quelles bases puisque les processus de symbolisation ont été altérés?

Roustang parle à ce propos de " relation réelle  [11]" qui s'établit à partir d’un degré de partage d’une sensorialité éprouvée de manière synchrone et dont le contenu serait à quelque chose près le même pour les deux protagonistes; on devrait parler de fait de co-sensorialité qui fait le lit d’une forme particulière de rencontre en dehors de tout effet de langage ou de représentance. Cette rencontre en se " transitionnalisant" constitue les conditions d' un échange. Celui ci ne pourra réellement naître et s’exploiter qu’au prix d’une modification posturale de l’analyste condamné pour survivre face au chaos, à dégager paradoxalement dans l’archaïque et l’incohérence d’une pensée en lambeau, soumise aux effets de la destructivité, les ressors utile à la construction d'une mémoire détruite.

C'est en parvenant à s’extraire, à se séparer de lui même[12] qu'il pourra vivre psychiquement, même si ce clivage temporaire à la fois défensif et créateur modifie l'ensemble des rapports qu' il entretient avec son identité. Cette hallucination négative de lui même le conduit parfois aux limites du supportable tant la connotation émotionnelle qui l'accompagne peut s'avérer dépersonnalisante. Ce détachement ainsi induit, de ses propres références, non seulement théoriques mais aussi intimes, prélude à un véritable " deuil de soi" , déterminent un état particulier de surinvestissement de l' efflorescence sensorielle. La modification de la conscience que cet état implique altère transitoirement les rapports avec lui-même, c'est à dire avec ses propres fondements. Les affects dépressifs souvent présents dans ces moments de grande intensité signent  la nature  de ces états particuliers. Le rapport avec le corps se transforme soumis à l' envahissement cénesthésique, et à l' émergence de sensations teintées d'étrangeté. La déraison est parfois proche mais riche de potentialités. On pourrait dire que cette transformation est à l' origine d'un  changement postural. Manifestation contre-transferentielle par excellence, cetteposture nouvelle que l'on peut qualifier analogiquement de «  posture du corps flottant  » avec ce que cela suppose comme desafferentation perceptive,  détermine un niveau de fonctionnement isomorphe de l’ analyste  avec le sujet, sollicitantsescapacités de régression topique et formelle. Elle révèle son aptitude à supporter un certain degré de paradoxalité au sein de ses propres processus de pensée. Rester soi-même tout en ne l'étant plus, mais en le restant quand même…pour ne plus l'être !

En surinvestissant sa propre sensorialité  et son rôle explorateur endo-psychique celle ci devient pour l'analyste un instrument de connaissance des zones enkystées, des noyaux traumatiques clivés ou cryptiques, des enclaves de violence potentielle. La sensorialité et ses déclinaisons peuvent animer la mélodie d' une même séance. Elle imprime ainsi un rythme et une temporalisation à l’expérience interpersonnelle et constituer les conditions de l’oubli et de la redécouverte, donnant à la mémoire une fonctionnalité à créer et développer. Cette expérience intersubjective dominée par son caractère régressif, va constituer un espace processuel, et sceller le socle d’un processus pre-symbolique,  susceptible de donner à un événement originairement inoubliable un caractère transmissible.

le corps comme mémoire

 

En activant les traces fondatrices d’une mémoire méconnue, d' une mémoire sans image, d' une mémoire qui rassemble et qui procède du partage d’une communauté sensorielle, émotionnelle se développera une expérience nouvelle. L' exhumation du fonds sensoriel de la mémoire, via la rencontre analytique développera ces réminiscences et lui donnera sa fonctionnalité età sa capacité première à se souvenir, au moins de ce qui s'est passé en séance; On pourrait dire que la " mentalisation" de la sensorialité possède le pouvoir de transformation de l’oubli,  et celui de faire de cet oubli destructeur un oubli fondateur. Cette transformation permet le passage de l'éprouvé au figuré et procède d'une communauté d'échanges qui prend parfois l'allure d'une folie à deux, et dont les traces vivantes combleront  selon la superbe formule de Saint Augustin " les vastes palais de la mémoire" , un temps désertés. La connaissance  de la perte, de la séparation et de ses terreurs pourra alors dessiner les prémices d'un originaire " secondaire" , à partir d'une rencontre dont la trace sera sans cesse à dessiner, pour qu 'elle devienne un temps représentable.

Enfin

Se séparer de soi- même est cette opération dont dépend toute opération réflexive, et constitutive de notre identité. Remarque bien décrite par Ferdinand Alquié , pour qui " avoir conscience de soi c'est se prendre pour objet, c'est donc ne pas coïncider avec soi, c'est renoncer à ce qu'on était" .Comment mieux illustrer ce que la confrontation avec la pathologie nous révèle. La séparation est au cœur de tous les grands mythes fondateurs. Elle est une double operation .En nous separant nous acquie aussi ce que nous conduit vers

Pierre Decourt

On retrouve là un prolongemnt de l'intuition freudienne largemnt developpée par Green ;l’affect tiendrait lieu de représentation[13]  ? Green le discours vivant p 332 toutes les représentations tient leurs origines des perceptions (se xix P 237)[14]

N' est ce pas plus important que de tenter de donner une figuration à l’expérience traumatique?

image motrice 333

souvenir et mémoire le déjà eprouv

La compulsion de répétition a paradoxalement une double fonction( cache et révèle à la fois)

-Elle lutte contre l’oubli .Elle ne cesse de faire apparaître  l’absence! en faisant émerger des comportements identiques  face à des situations au potentiel traumatique(échecs  ; addiction, automutilations ) qui pour autant ne peuvent se mentaliser

-                Elle cherche à effacer les traces d’expériences douloureuses( séparation séduction précoce, carences)en évacuant les affects douloureux

RR différencie traumatisme primaire qui affecte l’ organisation des processus et la symbolisation primaire

Le traumatisme secondaire affecte l’intégration de l’expérience p16/Agonie..)

Cette expérience ou le souvenir n’a pu se construire est à la fois présente et inaccessible mais elle n’est pas la répétition d’un  passé dont l’inconscient serait le porteur et le transfert le révélateur

La faillite des processus de symbolisation /

         A° Les conséquences au niveau du moi

Attaque de la symbolisation primaire (les outils) le trop  ; l’excès de l’excitation

On laissera de coté les Défauts de l’activité de symbolisation et attaque  de l’activité de représentation qu ‘il faut différencier des symptômes ou œuvrent des mécanismes de défense comme

- refoulement, de certaines représentations, porteuses d’un pouvoir de révélation des motions pulsionnelles sous-jacentes  elles deviennent intolérables pour le moi

- clivage, déni de la sexualité infantile, de la différences des sexes et des générations

La ressaisie interprétative de ces défauts de symbolisation que l’on qualifie de secondaire, est  induite par les effets sur le contre transfert ouvre à la  representabilité et du sens caché d’une motion pulsionnelle interdite à la conscience

La carence de l’activité de symbolisation primaire a d’autres conséquences  :effet d e réel et inintelligibilité

Le passage du perceptif au représentatif (  ?) illusion ( évacuation motrice sans représentation ni  élaboration)

A distance elle soulève  aussi la question des Limites du processus analytique  dans sonaptitud eà rendre comte de ses effets et s

?

de l’intelligibilité  de la souffrance psychique ?

des possibilités de changement  ? Y a t il réversibilité des conséquences de l’effacement, transformation de la trace corporelle  ? réversibilité des conséquences du traumatisme de la séparation    selon l a nature de l’oubli

face aux altérations des processus psychiques, conséquences de la rencontre d’un sujet avec un ou plusieurs événements au potentiel traumatique[15]

la non figurabilité de ces expériences  :la compulsion de répétition

Ferdinand Alquié



[1] Thom René. Paraboles et Catastrophes. «  les théories du traumatisme  ; une manière hasardeuse d’introduire la notion de causalité; en fait la notion de cause est une notion trompeuse, intuitivement elle paraît claire alors qu’en réalité elle est toujours faite d’un réseau subtile d’interaction P 133.Cette critique prend  aujourd'hui toute sa valeur à l' heure ou le traumato-centrisme hante les manuels explicatifs et réducteurs du comportementalisme.

[2] Ricoeur P. La Mémoire, L' Histoire, L'oubli  Seuil . 2000, p578

[3] Op, cit p576

[4] Roussillon .R Paradoxes et situations limites de la psychanalyse P.U.F 1991 p84

[5] Green A.le discours vivant, P.U.F p334

[6] Op cit. p, 115

[7] Roussillon.R; Agonie clivage et symbolisation P.U.F Ce sont comme des états de détresse, des expériences de tension et de déplaisir sans représentation( ce qui ne veut pas dire sans perception ni sans sensation) sans issue , c’est à dire sans recours internes ( ceux ci étant déjà épuises ) ni recours externes ( ceux ci sont défaillants) des états au delà du manque et de l’espoir p19

[8] Pour qu ‘il y ait relation transférentielle, il faut que le moi bénéficie d’une certaine fonctionnalité, d' une souplesse dans ses capacités d’investissement, de désinvestissement. Le transfert offre une possibilité d’ après coup symbolisant une expérience passée en en livrant une actualisation. Lorsque déplacement, et substitution  (métaphore et métonymie) font défaut,  les capacités d’identification sont limitées.Souvent massives et peu mobilisables elles rendent difficile l’articulation du passé et l’actualité des conflits, la construction ou la reconstruction de l’histoire personnelle.

Le va et vient entre les figures appartenant au monde interne et les objets composant le monde environnant est grippé. Dans ce magma, l‘analyste ne peut être qu’un support indifférencié de projections plus ou moins destructrices; elles attaquent ses modèles de pensée habituels et luttent contre le pouvoir réducteur du sens que pourrait suggérer une interprétation. Pourtant la répétition est bien présente; mais qu’est ce qui se répète?

[9] Freud S. Remémoration, Répétition, Perlaboration  P.U.F  1914, p 115

[10] Cette  reprise s'éloigne du concept de répétition d’Heidegger[10] ( Ricoeur p 574) proche en fait du concept freudien en de nombreux points. Nous sommes reconnaissant à Philippe Lacoue-Labarthe d'avoir avec beaucoup d'autorité et de clarté re-situer le sens de " Widerholung"   dans la pensée d' Heidegger .

[11] Roustang F. Le thérapeute et son patient. Edition d e l'aube 2001

[12] David C. " Le deuil de soi" , in La mort dans la vie psychique  R.F.P.1996 Tome XL

L'auteur parle de la mise en action d'un processus mental complexe sorte d' anticipation de sa propre mort, spécifique par rapport aux autres modalités de représentation de la perte.

[13] Greeen A. Le discours vivant PUF p 332

[14] Freud S;  Se xix p

[15] Thom rené paraboles et catastrophes «  les théories du traumatisme  ; une manière hasardeuse d’introduire la notion de causalité en fait la notion de cause est une notion trompeuse, intuitivement elle paraît claire alors qu’en réalité elle est toujours faite d’un réseau subtile d’interaction P 133


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