La conception erronée de la science se révèle dans la soif d'exactitude
Karl Popper, p287
Introduction
L'argument proposé pose très clairement les enjeux du problème et soulève
1° Une question politique sur laquelle nous ne nous prononcerons pas
L'argument invoque le poids du socius et les dérives possibles dont la forme la plus extrême conduirait la tutelle à cette formulation;
" je paye pour un service et j'évaluerai le rapport qualité prix, sinon j'attendrai les soldes!!!
Plus sérieusement"
2°L'argument suggère sans le poser réellement un problème épistémologique complexe qui traduit avec l'introduction de l'exigence evaluative, un double changement de paradigme ; Avec la volonté de propulser la médecine au rang des sciences dites dures[1], s'opère un saut de nature qualitative, révolutionnaire pour la pensée de ceux qui sont confrontés dans leur exercice à la complexité du fonctionnement psychique;
;Les conséquences seraient les suivantes
- La médecine ne serait plus hippocratique dans son essence en perdant l'exercice de cet l'art bien spécifique qui la caractérisait[2] , fondée sur la relation interpersonnelle.
- Cette position imposerait un renoncement radical à toute approche psychopathologique, en ne faisant plus de la recherche du sens l'objectif du changement. La tradition herméneutique, s'évanouirait!
Le credo de ces changements paradigmatiques est le suivant
" une méthode thérapeutique, faute d'être attestée par des preuves concluantes peut bel et bien être considérée comme dénuée de toute valeur substantielle"
Le corollaire de cette assertion est le suivant: Seule l' évaluation d' une méthode thérapeutique est en mesure de fournir des preuves concordantes, quant à son efficacité, à défaut de preuve elle sera considérée caduque. (les sous-entendus économiques et jurisprudentiels)
" Tu dois apporter les preuves de ton efficacité ,tu sera sinon considéré comme un charlatan" , mais dans le domaine de la vie psychique qu'est ce que l'efficacité. Quelles preuves opposer à cet argument? ( infalsifiable-K.P.?)
la disparition des phobies narcissiques invalidantes au profit d'un délire intrusif ?Comment attester du bien fondé d'une structuration masochiste du moi, dernier rempart contre la desintrication pulsionnelle et la régression maligne au bout du chemin.
3) Qu' est qu'une preuve en psychologie ou dans le domaine de la psychopathologie?
Une trace objective? Qu'est ce que l'objectivité dans le champ de l' intersubjectivité, de l'intrapsychique?
Un accord tacite entre les protagonistes concernant la disparition de tel ou tel symptôme, qui peut garantir qu'il ne s'agit que d' un effet d'une Séduction, ou la manifestation d'une guérison paradoxale?[3]
Donnez moi la preuve de la validité de votre pratique ou de vos hypothèses alors que la preuve est improuvable car la pratique ne se fonde que d' une conviction partagée engagent la subjectivité des acteurs.
Cette petite perversion de la pensée en raison de son fondement paradoxal cherche à satisfaire des exigences contradictoires (scientifiques, juridiques, et thérapeutiques)Elle procede d'une injonction qui se caractérise par le coté aporétique de l'exigence et n' appelle que des réponses insatisfaisantes au regard de l'autorité, au regard de la science, car réductrice du point de vue de la complexité du fonctionnement mental.
Elle participe à la confusion entre Etiopathogenie( causalité temporalité lineaire)etpsychogenese; (processus, temporalité après coup)
La preuve est le produit transmissible de la rencontre de deux expériences émotionnelles partagées dans une même temporalité dont naîtra la conviction, parfois la certitude, dans tout les cas une adhésion nuancée, à la fois " irréductible et dubitative" [4]; On comprendra dans cette approche que sa modélisation soit complexe, et insatisfaisante au regard de l'exigence tutélaire.( organismes payeurs, justice, etc)
Qu'est ce que l'évaluation?
un problème d'étymologie: évaluer, c'est définir une valeur un cours, un coût. Ce qui nous est aujourd'hui proposé sous la pression tutélaire, confère à l'évaluation une portée extensive qui recoupe des réalités différentes . Elle inclura plusieurs paramètres allant de l'appréciation de la méthode au résultat obtenu eu égard à un modèle préétabli, souvent à l'aune de l' outil statistique et financier. A ce titre le concept d'évaluation est assez " confusant" pour l'esprit même si les objectifs sont aujourd'hui implicitement axés autour de l'idée de la recherche d'efficacité, et de maîtrise des coûts sous tendus par une idéologie qui, il ne faut pas le nier, a sa validité. L' ambiguïté de la démarche qui nous est proposée est perceptible d'emblée puisque les mêmes items (mathématiques- statistiques, psychométriques( Lester Luborsky[5])devront selon un modèle binaire apprécier, un coût, une méthode et ses résultats, souvent dans une perspective prophylactique. Ainsi plusieurs champs distincts, financiers , méthodologiques et intersubjectifs et prédictifs seront évalués avec le même outil! Pourtant, l'extrapolation des résultats statistiques, le traitement probabiliste de ces résultats posent en soi des problèmes complexes et contiennent une part spéculative et inductive non négligeable, susceptible de modifier les résultats de l'expérience. Il ne suffit pas de prolonger les courbes graphiques pour prédire l'avenir!
Un consensus
S' il peut y avoir une réelle complexité à savoir de quoi parle t'on à propos de l' évaluation, il y a pourtant un consensus fort chez les utilisateurs qui repose sur les points suivants, non négligeables;
Rendre intelligible le changement
Réduire l'arbitraire
Poursuivre des objectifs scientifiques transmissibles(La falsifiabilité)
Une incertitude pourtant; Les résultats de toute évaluation ont ils une valeur prédictive? Valeur, considéré par certains comme le critère scientifique par excellence: définir des algorithmes capables de prédire, voilà l'enjeu!
A partir de ces données je voudrais faire quelques remarques et soumettre quelques hypothèses à la réflexion
1° Critique méthodologique
La position des philosophes des sciences et la critique de l'argument scientifique."L'exigence d'objectivité scientifique rend inévitable que tout énoncé scientifique reste et à jamais donné à titre d'essai" (K.P.p,286)
A) Les outils d'évaluation proposés pour certains champs scientifiques ont ils une valeuruniverselle? Peuvent ils être valides quelques soient la discipline évaluée, y compris dans les sciences dites humaines? Est il légitime de puiser dans d'autres champs scientifiques des outils d'analyse pour rendre compte de phénomènes observés dans le domaine de la pensée? ( l'exemple de Freud /rôle de metaphorisation)
B) L'illusion de l'objectivité
- L'évaluation se définit par rapport à des buts, des objectifs, elle s'effectue au moyen d'outils qui, ne l'oublions jamais, comme dans tout discipline scientifique engagent lasubjectivité de l'observateur. Ces buts et ces objectifs ne sont ils pas enclins à infléchir les résultats observés dans telle ou telle direction? N' il y a t'il pas toujours une dose d'induction dans l' observation, ne serait ce pour valider les théories sous jasantes à la recherche.
- Toute observation est aussi un jugement même s' il vise à l'objectivité, en cherchant à se dégager des effets de séductions induits par l' objet de son évaluation ou la théorie qui le supporte.
Quelque soit le mode d'observation, y compris s' il est fait usage d' un appareil pour rendre compte du phénomène observé, l'exploitation du résultat, c'est à dire sa transmission nécessite une dose d'interprétation qui n'est jamais neutre.
-L'évaluation s'effectue à un temps t et suppose une stabilité structurelle de l'objet observé, ce qui dans le domaine de la psyché est plus qu' improbable
- tant en raison de la longue maturation de l' appareil psychique qu'en vertu des remaniements perpétuels du moi soumis a l'activité pulsionnelle incessante; l' appareil psychique est un univers instable soumis à la poussée constante de la pulsion et au temps
- qu'en raison de la plasticité du moi toujours soumis aux effets hypnotiques de l'objet , effets hypnotiques dont Freud n'a jamais totalement malgré le dispositif fauteuil divan faire réellement l'économie.
- Les présupposés theoriques: Les conceptions que l'on aura du fonctionnement psychique orienteront la démarche evaluative.
Nous limiterons ces conceptions à deux
La causalité psychique et le modèle freudien
L' opposition entre
- une conception causalisteK.P.P59
le principe de causalité consiste dans l'affirmation que n'importe quel événement peut être expliqué par un lien causal. Cet événement peut être prévu de manière déductive (conception positiviste- déterminisme/métaphysique)
P.Valéry indique que " Rien ne prouve que le principe de causalité soit applicable en psychologie"
Dans le même sens,RTp133" La notion de cause est une notion trompeuse la réalité est faite d'un réseau complexe d'interactions " ; En ce sens elle simplifie à l'extrême la complexité desphénomènes, dont les scientifiquesont tendance depuis 20 ans à faire l'éloge
Pour le même auteur, l'approche réductionniste, (conséquence du principe decausalité), échoue face au phénomène quasi universel d'une hiérarchie de niveaux, telle que la métapsychologie freudienne en atteste? et qui figure dans sa conception des instances psychiques( cs,,precs, ics ; moi, surmoi, ça)
Fiction clinique
Edmond est un jeune élève du conservatoire. Violoniste plutôt doué il découvrit sa passion des son jeune âge baigné par l'atmosphère musicale que sa grand mère maternelle avait fait naître et su entretenir grâce à son goût pour le chant. Sorti dans un bon rang de l'école les difficultés commencèrent vraiment pour Edmond: Sa passion ne lui permettait pas de subvenir à ces besoins malgré l'aide de sa famille La confrontation avec les exigences de la vie, que sa volonté d'indépendance induisait, l'obligea à renoncer à l a perpective de faire une carrière artistique .IL se retrouva au Mac do du coin; à lire les partitions griffonnées des commandes des clients pressés. Quelques mois après cette conversion, de violentes douleurs abdominales apparurent progressivement, les dimanches, rythmées par la perspective du retour à son poste le lundi à 7heures.Les interventions médicales répétées s'avérèrent peu efficientes, et les examens dits complémentaires sans particularité, n'apportèrent aucun complément!.
Comment 'évaluer le symptôme digestif si ce n'est en terme de quantité, ( plus ou moins)sauf à prendre en considération la dynamique invisible sous jacente, que l'on entrevoit et qui nécessite un changement de paradigme,( pour en comprendre la fonctionnalité) introduisant subjectivité et histoire; c'est à dire la dimension diachronique; la souffrance psychique de l'artiste indique quel que chose de profondément personnel qui le submerge, et apparaît dans les dédales d'une symptomatologie banale; je suis un artiste qui souffre de ne pouvoir vivre de ma passion, et je dis cette souffrance à mon insu par un détour inchiffrable au regard d' un approche evaluative standardisée. Mais cette souffrance ne prend sens qu'à la lumière de son interprétation; elle ne peut avoir de valeur généralisante.
Le symptôme indique au moins deux choses; la souffrance d'un organe, et dévoile l'émergence d'une passion refoulée qui donne sens au symptôme; Il objective un signe et la réalité d'un conflit psychique et son destin détourné. La disparition du signe ne modifiera en rien la causalité, sauf à donner satisfaction au désir empêché dans sa réalisation
La seule prise en compte du symptôme selon une logique causaliste conduit à une impasse. En isolant le symptôme d'un contexte fantasmatique particulier propre à l'histoire d'Edmond, nous nous priverions d'une compréhension générale de sa souffrance et d'une réponse appropriée.
Les guérisons paradoxales
Comment comprendre et évaluer ces phénomènes assez fréquents,
1) à savoir la disparition inattendue de tel ou tel symptôme, sauf à convoquer les effets de Suggestion comme tentative de séduction (manifestation de l' aliénation hypnotique)
(L'exemple du deuxième entretien préliminaire)
2)Le fonctionnement négatif et la prise en compte de ce qui n'est pas dit
Pourtant le thème de l'evaluation et la logique qui le soutend est un nouveau défi pour la pensée psychanalytique
le thème de l'évaluation contraint les analystes à une réflexion qui suppose une révision de leur propres paradigmes, même s'ils s'en defendent ;
1)La formation des analystes ;Quelle évaluation?
2)Méthode
A° Une dynamique de l'incertitude, qui permet de tirer parti du coté inachevé parfois inachevable de l'analyse
Un mouvement de doute méthodique comme instrument de progrès
B° la subjectivité de l'observateur; comme outil d' appréciation et de mesure du processus (l'interpretation) L'introduction du contre transfert: le vécu pulsionnel liée au phénomène observé
3)Les objectifs
Comprendre comment se forge la conviction et la croyance afin de théoriser le mouvement( valeur structurelle)
Le sens est il facteur de changement
Les changements à l'insu des protagonistes
L' évaluation du changement(Wildlocher-1980) et sa complexité ; le point de vue topique
Penser le passage d'un système différentiel à un autre système, ainsi le changement ne se limite pas au niveau conscient , il se produit parfois à l'insu même du sujet et parfois de l'analyste au niveau precs( enrichissement du capital des représentations), ou ics( sublimation)
Dans le cas des processus psychiques tels qu'ils se développent s'enrichissent dans le mouvement intersubjectif qui structure le relation interhumaine que peut on évaluer?
La charge émotionnelle, la syntaxe, les représentations qui fleurissent, les discontinuité du discours , cad les oublis les lapsus (Mais Complexification de la démarche evaluative si on introduit la discontinuité des processus psychiques le rêve, les lapsus)
? Tout cela est bien difficile voir dérisoire
La particularité que je voudrais souligner tient au fait qu'il impossible d'évaluer un signe, un symptôme, son destin, disparition ou aggravation, sans prendre en considération la structure sur laquelle il pousse, et se déplace
Evaluer Quoi sans évaluer qui ?Le signe/ le symptôme est intrinsèquement articulé avec le conflit qui le détermine
L'introduction du sens qui va donner à un symptôme hystérique par exemple une valeur spécifique si on compare le même symptôme observé chez un patient mélancolique; Le sens à construire, ( états limites)ou reconstruire
Auguste Comte
" Chaque discipline à le droit d'avoir recours à une conceptualisation spécifique"
L'évaluation ne peut avoir de prétention scientifique, tout au plus elle est uneméthodologie , une sorte de langage permettant d'organiser les données de l'expérience , à conditions de lui soustraire pour ce qui concerne le champ de la vie psychique toute prétention généralisante
Mais le plus convainquant concernant l'intérêt de cette démarche sera dans l'évaluation (de l' évaluation) de sa capacité de transmission d'une connaissance à partir des données qui lui sont propres, en oubliant jamais que " la conception erronée de la science se révèle dans sa soif d'exactitude" .
Platon
L'argument est le suivant : le chercheur dit alors qu'il limite sa démarche à l'unique observation des faits" à l'état brut" .Position qui ne peut conduire qu'a l'accumulation d'une connaissance chaotique dépourvue de toute organisation interne RTp58.[6]
[1] Kuhn ;Une succession d'évolution continue, séparée par des sauts brusques de nature qualitative différente.
[2] Fort heureusement la pratique renvoie sans cesse a la méditation du praticien des incertitudes dont l'effet placebo n'est pas le moindre
[3] On comprend mieux que l'hystérie ne figure pas dans les classification modernes .Elle subvertit toute rationalité affichée et invalide la logique causaliste.
[4] " une croyance selon Heidegger qui va au dela des choses percues" (Heidegger Questions 2 commentaire de Platon la caverne)
[5] En fait les grilles de lecture se concentrent plus particulièrement sur l'évaluation des symptômes dont l'auteur apprécie, l'intensité , la résistance ou la disparition en fonction de telle ou telle approche thérapeutique ou en vertu des facteurs environnementaux
[6] Les faits doivent être vus en relation avec une certaine problématique, en l'occurrence identitaire!Quand on évalue un symptôme on sollicite implicitement ou explicitement une interrogation plus complexe qui porte sur l' identité du sujet